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Clarinda avait repris. Mais il est évident que la flamme n'était plus ce qu'elle avait été et faiblissait. Les entrevues continuaient, bien que parfois écourtées ou différées par les démarches multiples qui absorbaient ses journées. Les lettres sont pressées et contiennent plus de renseignements sur ses préoccupations d'affaires que de sentiment. La dernière seule , écrite le vendredi 21 mars , se ranime et retrouve un peu du ton des anciennes lettres.

Je viens de rentrer et j'ai lu votre lettre. La première chose que j'ai faite a été de remercier le Divin Ordonnateur des événements de m'avoir réservé le bonheur de vous connaître. La vie, ma Clarinda, est un sentier nu et triste ; malheur à celui ou à celle qui s'y aventure seul ! Pour moi, j'ai ma très chère compagne de mon âme : Clarinda et moi ferons notre pèlerinage ensemble. Partout où je serai, je lui ferai savoir ce qui m'arrive, ce que j'observe dans le monde qui m'entoure et quelles aventures je ren- contre. Gela vous plairait-il, mon amour, de recevoir toutes les semaines ou, du moins, tous les quinze jours, un paquet, deux ou trois feuilles pleines de remarques, de folies, de nouvelles, de rimes et de vieilles chansons.

Ouvrirez-vous avec satisfaction et bonheur la lettre d'un homme qui vous aime, qui vous a aimée et qui vous aimera jusqu'à la mort, à travers la mort et pour jamais? Clarinda, que ne dois-je pas au ciel pour m'avoir donné une perfection comme vous ! Je pense à vous comme un avare compte et recompte son trésor I Dites-moi, vous étiez-vous étudiée à me plaire hier soir ? Sûrement vous m'avez charmé jusqu'au ravissement. Combien je suis riche, moi qui ai un trésor tel que vous ! Vous me connaissez ; vous savez comment me rendre heureux, et vous y réussissez, Dieu vous accorde

longue vie, longue jeunesse, long plaisir et un ami.

Demain soir, selon votre indication, je guetterai la fenêtre : c'est l'étoile qui me guide vers le paradis. La plus grande saveur de tout est que l'Honneur, que l'inno- cence, que la Religion sont les témoius et les protecteurs de notre bonheur. « Le Seigneur Dieu sait » et peut-être « Israël connaîtra » mon amour et votre mérite. Adieu, Clai-iûda ! Je vais me souvenir de vous dans mes prières.

Même dans cette déclaration suprême , le caractère littéraire de sou amour reparaît dans l'offre de cet envoi hebdomadaire ou bi-mensuel d'une revue, qui transforme une maîtresse en lectrice et fait d'une correspondance d'amour une sorte d'abonnement à un magazine. Clarinda sans doute aurait mieux aimé une parole de tendresse pour elle que des feuilles de remarques sur le monde.

L'entrevue fixée dans la lettre eut lieu le 22 mars, dans la maison de Clarinda. Ce fut probablement la dernière rencontre des deux amants, « Il faut eu croire le poète, dit ironiquement Scott Douglas S quand il dit que l'Honneur, l'Innocence et la Religion furent les témoins et les protecteurs de leur bonheur ». L'ironie est injuste. Il est étonnant que ce chercheur si soigneux et si sagace ne se soit pas rappelé le passage d'une

1 ScoU Douglas, tom. V, p. 110.