Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/365

Cette page n’a pas encore été corrigée

-354-

On devine ce que put être pour lui le dîner qui l'attendait, pendant qu'il traçait ces lignes courroucées. En rentrant à minuit, il écrit de nouveau, essayant, cette fois, de convaincre Clarinda de la légitimité de leurs relations. La lettre, qui commence avec une sorte de solennité, se poursuit sous une forme de raisonnement assez singulière en ce cas, mais pressante et vive, et qui monte vers l'éloquence. Elle est malheureusement incomplète. Ce dut être une des plus intéressantes et des plus sincères de cette correspondance.

Madame, après une journée misérable, je me prépare à une nuit d'insomnie. Je vais m'adresser au Témoin tout puissant de mes actions, qui sera un jour, peut-être bientôt, mon Tout-puissant Juge. Je ne serai pas l'avocat de la passion. Sois mon inspirateur et mon témoin, ô Dieu, tandis que je plaide la cause de la vérité.

J'ai lu la lettre hautaine et impérieuse de votre ami: en pareille matière, vous n'êtes responsable que devant votre Dieu. Qui a donné à un de vos semblables, (un de vos semblables, incapable d'être votre juge, parce qu'il n'est pas votre égal) le droit de vous catéchiser, de vous admonester, de vous ravaler, de vous outrager, de vous insulter ainsi, avec cette insouciance et cette cruauté? Je ne désire pas, non, je ne désire pas même vous tromper. Madame. Celui qui voit les cœurs m'est témoin combien vous m'êtes chère; mais même s'il était possible que vous me fussiez plus chère encore, je ne consentirais pas à baiser votre main aux dépens de votre conscience. Pas de déclamation ! Appelons-en à la barre du sens commun. Ce n'est pas en pérorant avec emphase des choses sacrées, ce n'est pas avec de vagues assertions déclamatoires , ce n'est pas en prenant , en prenant hautainement et insolemment le langage dictatorial d'un pontife romain, qu'on dissoudra une union comme la nôtre. Dites-moi, Madame, y a-t-il pour vous la plus légère ombre d'obligation à accorder votre amour, votre tendresse, vos caresses, vos affections, votre cœur et votre âme à Mr. Mac Lehose, l'homme qui a continuellement, habituellement , barbarement passé à travers les liens du devoir , de la nature ou de la reconnaissance envers vous ? 11 est vrai , les lois de votre pays , pour les plus utiles raisons de politique et de sain gouvernement , ont rendu votre personne invio- lable ; mais est-ce que votre cœur et vos affections sont liées à un homme qui ne vous paie de retour ni pour les unes, ni pour l'autre ?

Vous ne pouvez pas faire cela ; il n'est pas dans la nature des choses que vour» soyez obligée à le faire; les sentiments les plus communs de l'humanité l'interdisent. Est - il donc vrai que vous possédiez un cœur , des affections, sur lesquels aucun homme n'a de droit? Cela est vrai, alors dites-moi, au nom du sens commun, peut-il être , est-il compatible avec les plus simples notions du bien et du mal de supposer qu'il soit blâmable d'accorder à un autre ce cœur et ces affections , quand , en les accordant , vous ne blessez à aucun degré votre devoir envers Dieu , envers vos enfants, envers vous-même, envers la société, en général? i

S'il était entré, dans la conduite de Burns envers Clarinda, un peu d'affection vraie et de désintéressement, cette complication eut dû le faire réfléchir, par dessus toutes choses. Il pouvait porter aux intérêts matériels de cette femme une atteinte sensible, diminuer son bien-être et

1 To Clarinda, Feb. 13th 1788.