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Fortune, qui a joué tant de mauvais tours à un pauvre poète écervelé, s'est avisée de lui donner le plus magnifique présent qu'elle ait jamais eu en sa possession, uniquement «afin de voir comment sa sotte tête et son sot cœur y résisteraient ». Ou bien elle s'est dit peut-être qu'elle a fait un chef-d'œuvre et elle le lui a amené « pour lui donner cette immortalité qu'aucune femme d'aucun temps ne mérita davantage et que peu de rumeurs de ce temps-ci sont plus capables de conférer* ». C'est insipide ! Pas un mot qui ait un peu d'accent, pas un reflet de flamme.

La lettre, incompréhensible, était complétée par un post-scriptum singulier qui l'explique peut-être et qui révèle certains côtés de la vie de Burns, à cette époque. Rentrant le soir, gris, après les potations qui avaient suivi le dîner, lequel commençait alors à trois heures, il ajoutait ces paroles comme excuse :

« Me voici... absolument impropre à finir ma lettre, tout jovial après un bol qu'on a fait circuler constamment depuis le diner jusqu'à présent. Je n'ai pas d'idées distinctes de rien , sinon que j'ai bu deux fois votre santé, ce soir , et que vous êtes tout ce que mon âme estime de cher eu ce monde i. »

Dans la même matinée où il écrivait cette lettre ingénieuse et recherchée, Clarinda lui en adressait une, d'un sentiment plus réel et touchante. Le début sent encore la prétention d'une correspondance littéraire, l'effort et l'arrangement ; c'est une longue allégorie où Clarinda comparaît à la barre de la Raison, devant la Religion et la Réputation, et où elle est défendue par l'Amour revêtu d'un voile emprunté à l'Amitié. Mais aussitôt après la simplicité revient, les accents sincères se font jour ; bientôt arrivent et sortent les paroles vraies, le cri d'alarme et d'amour, poussé partant d'àmes faiblissantes, partagées entre la crainte et l'attrait de la faute. Cette lettre est vraiment, par endroits, touchante. On y sent le remords des faiblesses accomplies, la terreur de celles qui restent à commettre, ce mouvement naturel et toujours déçu de la femme qui, se trouvant épuisée de résistance, implore d'être épargnée et ne pose plus d'espoir que dans celui même qu'elle redoute, enfin, cet aveu de lassitude qui est presque un abandonnement. Au-dessus de ce tumulte, règne un sentiment d'honnêteté et de devoir qui s'exprime, non sans éloquence. Ce n'est pas la seule fois où Clarinda a l'avantage sur Sylvander.

« Sylvander, laissons tomber ma métaphore. Je ne suis ni bien, ni heureuse aujourd'hui ; mon cœur me fait des reproches d'hier soir ; si vous désirez que Cla- rinda recouvre son repos, repoussez tout ce qui nest pas permis par la plus stricte délicatesse.

Je ne vous blâme pas , mais moi-même. Je ne dois pas vous revoir samedi , à

< To Clarinda. Jan. ■24tti 1788.