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ment aimable el belle, sans quelque mélange de celte délicieuse passion donl j'ai eu plus d'une fois l'honneur d'être l'esclave très dévoué. Mais pourquoi s'en sentir blessée ? Est-ce qu'un honnête homme ne peut pas avoir une faiblesse pour une femme charmante, sans courir tête baissée dans une intrigue ? Prenez un peu de la tendre sorcellerie de l'amour, ajoutez-la aux généreux et honorables sentiments d'une amitié virile, et je ne connais qu'un seul mets qui soit plus délicieux, et quepeu, très peu d'êtres, à quelque rang qu'ils appartiennent, goûtent jamais, l'n pareil mélange est comme d'ajouter de la crème à des fraises ; non seulement elle donne aux fruits une richesse plus délicate, mais encore elle est délicieuse elle-même i.

La chose est dite , mais de quelle façon légère et caressante. Cette dernière phrase est, dans le texte, d'un coloris et d'une saveur tout à fait exquis. La première tentation ne se servit pas avec plus de sophisme et de sensualité du parfum d'un fruit. Cela devient presque de la poésie.

La pauvre Clarinda a beau faire, elle a beau roidir sa réponse, y mettre des raisonnements, rectifier les mots, marquer des bornes, se faire raison- nable et raisonneuse, elle est gagnée.

« Vous dites « qu'il n'est pas possible de correspondre avec une femme aimable sans un mélange de la tendre passion. « Je crois qu'il n'y a pas d'amitié entre des personnes sensibles de sexe différent, sans un peu de douceur ; mais lorsqu'elle est maintenue dans des hmites convenables, elle ne fait que donner une plus haute saveur à ce commerce. L'amour et l'amitié sont ries mots qui se trouvent sur les lèvres de tous, mais peu, extrêmement peu, eu comprennent la signification. L'amour (ou raffection) ne peut pas être sincère, s'il hésite un moment à sacrifier toutes ses satisfactions égoïstes au bonheur de son objet. Au contraire, si on veut acheter les premières aux dépens du second, il mérite d'être appelé, non plus amour, mais d'un nom trop grossier pour être mentionné. C'est pourquoi je soutiens qu'un honnête homme peut avoir une faiblesse amicale pour une femme, qui dans son âme abhorrerait l'idée d'une intrigue avec elle. Voilà mes sentiments sur ce sujet : j'espère qu'ils correspon- dent aux vôtres 2, »

En dépit d'elle, le poison a pénétré ses précautions , ses restrictions, sa froideur même. 11 y a dans ces lignes qui veulent être rigides , un consentement. Le premier pas est fait dans le sentier périlleux ; la pre- mière, l'imperceptible concession qui en contient tant d'autres; l'initiale minute de faiblesse d'où sortira un avenir chargé de souffrances, par cette sorte de logique et de déduction effrayante des choses dont George Eliot a si vigoureusement marqué la marche, les exigences et la cruauté.

Il est clair qu'une correspondance, engagée sur ce ton, doit conduire à des entrevues. Aussitôt que Burns fut capable de sortir dans une chaise à porteurs, il alla rendre visite à Clarinda. Il raconta sa vie, ses fautes et

1 Ta Clarinda. Dec. 28th, IISI.

2 Ta Sylvander, January ist, 1788.