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surtout quand elle était aiguillonnée par un peu de vanité ou de bruit. « En lisant ce que vous me dites de votre penchant pour les plaisirs de la société, j'ai souri de sa ressemblance avec le mien. Si vous m'aper- ceviez dans une réunion de plaisir, vous penseriez que je ne suis rien qu'une fanatique d'amusement; mais maintenant j'évite les réunions. Mes esprits s'affaissent ensuite pendant des journées et, ce qui est pire, il y a parfois des esprits stupides ou malveillants, qui me blâment bien haut pour ce que leurs natures pesantes ne peuvent comprendre. Si j'avais une fortune indépendante, je dédaignerais leurs pitoyables remarques ; mais dans ma position tout me rend la prudence nécessaire ^ .a Cette disposition n'avait pas été sans lui attirer quelques critiques et quelques attaques. On voit aussi, à la réaction qui la suivait, que sa gaîté. quand elle était excessive, était factice, comme il arrive aux personnes dont l'esprit est sérieux. Peut-être aussi y avait-il , dans ces accès de gaîté, un peu de désir de s'étourdir, cette sorte d'ivresse qui laisse, comme l'autre , son abattement.

Avec cela , Agnes Craig avait de sérieuses qualités de caractère et de cœur. Elle avait, ce qui est une grande marque de santé d'esprit, une sorte d'optimisme, une disposition à être contente de son sort et à voir les choses par leur bon côté. « Je ne suis pas, comme vous le supposez , malheureuse. J'ai de beaux enfants , de l'aisance , une bonne renommée , des amis bons et attentifs , quel monstre d'ingratitude je serais aux yeux du ciel si je me disais malheureuse. Il est vrai, j'ai rencontré des scènes horribles à se rappeler même à six années de distance; mais l'adversité, mon ami, est reconnue comme l'école de la vertu. Elle confère souvent celte douceur soumise qui est inconnue parmi les favoris de la fortune^. » Et ailleurs elle revient sur la même idée que ses malheurs ont été pour elle une heureuse leçon, avec une simplicité et une franchise qui ne sont pas vulgaires. « Aucun démon malveillant n'a eu la permission « de verser du chagrin dans ma coupe » comme vous le supposez ; c'était la bonté d'un père sage et tendre qui prévoyait que j'avais besoin d'être châtiée pour être ramenée à lui. Ah, mon ami, la Religion convertit en bénédictions nos plus lourdes infortunes ! Je sens que c'est ainsi. Ces passions naturellement trop violentes pour ma paix ont été brisées et modérées par l'adversité ; et, si l'adversité même n'a pas suffi à vaincre ma vivacité, jusqu'où n'aurais-je pas été si j'avais été libre de glisser plus loin, dans le plein soleil de la prospérité. J'aurais oublié ma destinée future et fixé mon bonheur sur les ombres fuyantes d'ici-bas 3. » Ce ne sont ni les pensées

1 To Sylvander, 9lh Jan. 1~88.

2 To Sylvander, 28tiiDéc. IIBI.

3 To Sylvander, ist Jan. nss.