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jusqu'à treize ans seulement, par une sœur aînée. Elle avait été précoce- ment formée et jolie ; à l'âge de quinze ans elle était connue comme une des beautés de Glascow et avait inspiré une passion à un jeune homme de quelques années son aîné, nommé M. Mac Lehose. Il était fortement épris d'elle et la façon dont il lui avait parlé est assez romanesque. Il avait retenu toutes les places de la diligence par laquelle elle devait aller de Glascow à Edimbourg, afin de se trouver une journée avec elle. Deux ans plus tard, à l'âge de dix-sept ans, elle l'avait épousé. Mais ce mariage d'amour avait tristement tourné. C'est l'histoire de tant de mariages mal assortis, où des esprits encore enfants et des caractères qui ne sont pas formés s'engagent en un serment irréparable. M. .Mac Lehose était un homme agréable , insinuant de manières , beau parleur, phraseur '. Ce qu'on a de ses lettres est emphatique, plein de protestations et de belles promesses. Mais autant en emportait le vent. Il était faux, égoïste, brutal, et d'une grande frivolité d'esprit. De son côté, elle qui était encore une enfant, fut sans doute un peu légère, étourdie, avide de société, d'attentions, de petits triomphes mondains, qui déplaisaient à son mari. Presque aussitôt la différence , le désaccord des caractères s'étaient montrés, et peu à peu avait agi ce terrible éloignement muet qui écarte, sans que rien en paraisse d'abord, deux êtres liés ensemble. Alors commença la vie terrible des ménages qui s'aigrissent , se désunissent , se disloquent, se détachent. D'un côté , ces blessures , ces froissements, ces défiances , ces premiers doutes rapides et affreux sur la valeur morale de l'homme auquel on appartient, cette inquiétude qui devient l'épou- vantable détresse de se sentir liée à qui on n'aime plus. De l'autre côté, avec l'éloignement perçu, étaient nés les soupçons, la jalousie qui torture ce qui reste d'amour et l'empêche de mourir tout à fait, et, avec eux, la brutalité, la dureté, l'inconvenance. Ils avaient connu le poids de la vie commune, les jours boudeurs, sombrement muets, les querelles, et ce moment oii des paroles irréparables éclatent et mettent soudainement à nu le travail des ulcères cachés. Terrible vie ! renouée de temps en temps par des réconciliations amères, oii l'on ne goûte plus que l'image déformée du bonheur d'autrefois , pauvre imitation rendue plus pénible parce qu'elle réveille des souvenirs meilleurs qu'elle ! Tout ce drame intime, qui désole tant et tant d'existences féminines , qui se déroule à travers tant et tant de semaines de désespérance, est contenu dans ces quelques lignes : « Un temps très court s'écoula seulement avant que je m'aperçusse avec un inexprimable regret que nos dispositions , nos caractères et nos sentiments étaient si entièrement différents que tout espoir de bonheur était banni. Nos différends en vinrent à un tel degré et la façon dont mon mari me traita fut si dure que mes amis considérèrent

1 Memoir of M'^s Mac Lehose, p. 16.