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l'attention sur des objets séparés , donnent, pendant un instant , des proportions humaines à ce sentiment immense, indéterminé, amorphe de solitude cosmique. Mais bientôt ces détails disparaissent; l'on est perdu de nouveau dans les vagues illimitées de cette mer couverte d'une écume de bruyères et de rochers, spectacle d'une grandeur, d'une tristesse, d'une solennité inexprimables. C'est d'une sublimité paisible. A cause de la lenteur des lignes, il n'y a rien d'âpre, de menaçant, mais plutôt une douceur majestueuse. On dirait la rêverie affligée d'un dieu très bon. Tandis que les vallées sont encore faites pour les chagrins humains, c'est ici comme une mélancolie primitive, démesurée, uniforme, vague, élémentaire, qui n'a pas encore pris la variété et la précision de la vie plus récente. Souvent, quand le soleil embrase l'ouest, le ciel cramoisi, la pourpre illimitée des bruyères enflammées jusqu'au fond des horizons, et les rochers eux-mêmes devenus ardents, forment une scène d'une splendeur et d'un deuil surhumains ; on ne sait quelle pompe immense et sépulcrale, comme pour les funérailles de Saturne, antique père des Dieux et des Hommes.

Sans doute ces aspects du paysage écossais changent chaque jour et on ne les retrouve pas deux fois les mêmes. Mais leurs variations se modulent sur un fond permanent, et chaque voyageur qui passe y peut entendre une phrase différente de la même symphonie austère et puis- sante. Or, Burns a été de Crieff à Kenmore ; il a été de Kcnmore à Blair Athole, et de Blair Athole à Inverness, sans qu'aucune émotion de nature semble l'avoir touché , sans qu'aucune, du moins, apparaisse dans son journal de voyage ou dans ses poésies. La grandiose procession de montagnes s'est déroulée devant lui sans lui rien inspirer. Les seuls vers qui s'y rapportent sont un fragment, écrit en apercevant le village et le château de Kenmore dans le district de Breadalbane. La pièce a de jolis traits et la description est exacte. Mais il est facile de sentir que ce petit tableau d'un coin de pays habité , et la déclamation vague qui le suit , sont bien loin des grandes scènes de nature et de leurs pensées profondes.

Admirant la nature dans sa grâce la plus inculte ,

Je parcours, d'un pas lassé, ces scènes du nord;

Par mainte vallée sinueuse, mainte pente ardue,

Séjours des nichées de grouse et des moulons craintifs.

Je poursuis, curieux, mon voyage solitaire.

Tout à coup, le fameux Breadalbane s'ouvre à ma vue,

Les escarpements qui se touchent sont séparés par de profondes gorges ,

Les bois, sauvagement épars, revêtent leurs vastes flancs;

Le lac qui s'élargit au sein de collines

Remplit mes yeux de surprise et d'émerveillement;

La Tay doucement sinueuse dans son orgueil enfantin,

Le palais qui s'élève sur sa rive verdoyante.

Les pelouses frangées de bois, selon le goût natif de la nature,