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Ainsi, au moment même où Burns visitait les Borders, il y avait là une masse de poésie agissante, vivante, non seulement capable de réjouir, de consoler des milliers d'âmes simples et de mettre des instants de beauté ou de pitié dans des bergers, des filles de terme, desgardeurs de vaches, des laboureurs, mais encore elle était occupée à former la chaîne et la trame d'âmes d'élite, qui déclarèrent ensuite qu'elles n'avaient rien en elles de meilleur que ces premiers souvenirs. Cette poésie personne encore ne l'avait recueillie. Une douzaine d'années plus tard, on allait voir un homme infatigable, tantôt à cheval, tantôt dans un phaéton construit exprès pour pénétrer dans des endroits qui n'avaient jamais vu de voiture ^ on allait voir cet étrange voyageur parcourir le pays en tous sens, s'enfoncer au fond des vallées invisitées, faire chanter les fermiers à la fin de repas où il leur tenait tête, demander aux vieilles gens décrépites un effort de mémoire et de faire revivre un instant les chansons qui les avaient bercées jadis , aller trouver les bergers , réunir de tous côtés des strophes, des fragments, des ballades, des chansons, et faire un trésor de cette poésie répandue et anonyme. C'était Walter Scott. Les deux premiers volumes de la Poésie populaire des Borders furent publiés en 1802.

Burns était parti en disant qu'il allait faire « un pèlerinage au sol classique » de la poésie écossaise. Ces mots pouvaient faire croire qu'il allait pénétrer dans cette région, sinon préparé à en ressentir tout le charme pittoresque, du moins désireux de le découvrir et disposé à en étudier les souvenirs poétiques. Dès qu'on ouvre le journal qu'il a tenu de son voyage, la déception est grande. Il semble que le paysage qui devait fournir à Wordsworth de si profondes et si divines contemplations n'ait pas été aperçu. A peine quelques notations fugitives et sommaires, qui ne dépassent pas les impressions d'un voyageur quelconque ^. « Les collines de Lammermoor misérablement désolées, mais par moments très pittoresques ^ ». — « Superbe rivière la Tweed, claire et majestueuse, beau pont^ ». Il remonte jusqu'à Selkirk, cette rêveuse et attirante vallée de l'Ettrick où James Hogg se formait dans des visions de paysage féeriques ; et ces rives, sur lesquelles soupire l'âme même des Borders, ne lui inspirent que ces mots : « toute la contrée aux alentours, sur la Tweed comme sur l'Ettrick, remarquablement pierreuse ^. » Tant de vieilles villes, si jolies de situation, si pittoresquement étalées au bout de leur pont, autour de ruines si vénérablement historiques : Keiso, au pied de sa vieille

1 Lockhart. Life of Sir Waller Scolt, chap. x.

2 Les extraits qui suivent, sont tirés du Journal tenu par Burns pendant ce voyage. Nous y renvoyons une fois pour toutes.

3 May 5, 1181. i Monday "th. 5 Sunday 13th,