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Ainsi, au-dessous de si belles apparences, il y avait une dissonnance cachée, à peine sensible, mais réelle. Il y avait, selon une jolie expression anglaise, «une fente dans quelque endroit du luth ». Ces sentiments étaient, de part et d'autre, inconscients ou fugitifs, et, à coup sûr, secrets. Mais ils ne pouvaient tarder à se déclarer, à devenir plus exigeants. Si l'accord ne s'est pas fait dans la force de la sympathie première, il ne se fera plus maintenant qu'elle est épuisée, et, de ce côté du moins, la partie est perdue.

Ce défaut d'entente contribua à éloigner insensiblement Burns d'un monde où il était gêné et le poussa vers des sociétés plus aisées , plus sans façon, plus plébéiennes, pour ainsi dire, et aussi plus en rapport avec ses goûts et ses propres manières. Malheureusement, il y avait de ce côté-là des dangers. Il allait se trouver jeté dans des habi- tudes de vie dont il faut connaître la puissance pour comprendre combien il était difficile d'y échapper. Il sera nécessaire de toujours les avoir à l'esprit pendant la vie du poète, pour ne pas oublier quelle part de ses excès revient aux mœurs de son temps. C'est, du reste, un tableau qui ne manque pas de saveur.

Une ivrognerie générale existait alors dans toute l'Angleterre et à tous les rangs. C'était le temps oii Robert Walpole commandait à son fils Horace de se verser deux verres de vin pour chacun des siens, parce qu'il n'était pas convenable qu'un fils vît son père en état d'ivresse. C'était le temps oii Fox venait au Parlement, la tête enveloppée de ser- viettes mouillées pour dissiper les effets du vin. Mais ce défaut était encore beaucoup plus marqué en Ecosse. L'ivrognerie était un des traits caracté- ristiques du pays. Elle était, pour ainsi dire, universelle, régnant dans toutes les classes, s'attaquant à toutes les têtes, troublant en même temps les cervelles obscures des bergers et des paysans et les cerveaux les plus clairs des professeurs et des savants, brouillant, à de certaines heures, du haut en bas, toutes les idées du pays. Il ne faut calomnier personne , et on a quelque hésitation à être aussi affirmatif ; nous ne voudrions toucher à ce point singulier qu'avec les témoignages et les aveux d'Ecossais.

Ils viennent, s'offrent de toutes parts. On n'a qu'à prendre au hasard. Dean Ramsay dit : « Un autre changement dans les mœurs, qui s'est effectué à la mémoire de beaucoup de personnes actuellement vivantes, a rapport aux habitudes de convivialité , ou , pour parler plus clai- rement , au bannissement de l'ivrognerie de la société polie. C'est à la vérité un changement important et béni. Mais c'est un changement dont beaucoup de ceux qui vivent aujourd'hui ne peuvent guère imaginer l'étendue. Il est à peine possible de se figurer les scènes qui avaient lieu , il y a soixante-dix ou quatre-vingts ans , ou même

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