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en lui quelque chose de plus profond et de plus tragique. Et cependant on aimerait à croire que, pendant quelque temps du moins, cette ressem- blance a été vraie. Sans doute, le portrait fut fait dans un moment heureux, quand les inquiétudes étaient loin et semblables aux légères nuées blanches du tableau ; sans doute aussi le jeune peintre y mit la lueur des espérances qu'il concevait pour le jeune poète ; car ils ne tardèrent pas à être deux amis, et souvent, après les séances ils allaient se promener sur le siège d'Arthur. Il leur arrivait même de passer la nuit, de se griser ensemble, et d'aller chercher sur les collines voisines l'air vif, excellent pour dissiper les restes d'ivresses et éclaircir les têtes encore confuses * .

On a de Burns, à ce moment, un de ces bons élans de cœur qui rachè- tent bien des faiblesses. Au milieu de son succès, il apprit que la tombe de Fergusson était au cimetière de la Ganongate, abandonnée, dénuée de la pierre qui garde le nom des plus obscurs, et destinée à disparaître comme les tombes pauvres. Il avait toujours eu de l'admiration et de la tendresse pour la mémoire du malheureux et charmant jeune homme. Toute cette vie repassa devant son esprit : sa pauvreté, son travail aride, sa misère, cette pauvre tête égarée et se débattant contre la folie, cette mort à vingt-quatre ans dans une cellule d'aliénés, toute cette lutte lamentable du talent et de la misère. Les larmes lui vinrent, amenant comme souvent chez lui, la colère !

Malédiction sur l'homme ingrat qui peut prendre du plaisir Et laisser mourir de faim l'auteur de ce plaisir ! ^

Faut-il que, pour comble d'ingratitude, on laisse maintenant les restes du poète se perdre dans la foule des ossements obscurs? Jamais, si cela dépend de lui ! Et aussitôt, il écrit aux magistrats de la Ganongate une lettre émue, pour leur demander la permission d'élever à ses frais une pierre sur cette tombe délaissée.

« Messieurs, je suis triste d'apprendre que les restes de Robert Fergusson, le poète si justement célèbre, un homme dont les talents feront honneur pendant des siècles à notre nom calédonien, rejjosent dans votre cimetière, ignorés et inconnus parmi les morts obscurs. Quelque mémorial pour guider les pas des amants de la poésie écossaise, lorsqu'ils désireront verser une larme sur l'étroite demeure du barde qui n'est plus, est assurément un tribut dû à la mémoire de Fergusson, un tribut que je désire avoir l'honneur de payer.

Je vous adresse donc la demande, Messieurs, de me permettre de placer sur ses

1 Chambers, tom. II, p. 32, d'après une communication de James Nasmyth, le fils du peintre.

2 Verses under the Portrait of Fergusson,