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estropiant le texte. Pendant quelque temps, Burns endura tout en silence, mais à la fin exaspéré par celte mixture de critique maladroite et de bousillage, il se leva extrêmement courroucé, le regard flamboyant et lui cria : « Monsieur, je vois qu'un homme peut être un excellent juge de poésie, par règle etéquerre, et n'être après tout qu'un sacré imbécile. » Celte fois c'était un peu roide. Il est vrai qu'il s'adressait à un clergyman et qu'il ne les aimait guère. Mais il dut y avoir là encore, un assez bon silence, qui lui resta moins peut-être sur le cœur que le premier *.

Ce n'étaient là après tout que des vétilles. On a beau les passer au crible, on voit que tous ces souvenirs, provenant d'esprits si divers, s'accordent parfaitement entre eux. Il ne peut y avoir aucun doute que tous ces commencements du séjour à Edimbourg aient été parfaits de mesure, de dignité. C'était pourtant un pas difficile. D'autres y ont échoué qui étaient mieux préparés à l'affronter. « Jeté malgré moi dans le monde sans en avoir le ton, sans être en état de le prendre et de m'y pouvoir assujettir, je m'avisai d'en prendre un à moi qui m'en dispensât. Ma sotte et maussade timidité que je ne pouvais vaincre ayant pour principe la crainte de manquer aux bienséances , je pris pour ra'enhardir le parti de les fouler aux pieds. Je me fis cynique et caustique par honte, j'affectai de mépriser la politesse que je ne savais pas pratiquer "2. » On voit la dislance qu'il y a entre la roideur et la gaucherie avec lesquelles Rousseau accueillit sa renommée soudaine et l'aisance et la simplicité avec lesquelles Burns recul la sienne. Le premier s'était créé « un personnage ^ » selon sa propre expression ; le second sut toujours rester lui-même.

Et lui, Burns que pensail-il ? Comment jugeait-il, de son côlé, celle société subitement étalée à ses yeux, car pendant qu'on l'observait, il observait lui-même. Ni la célébrité, ni la science des hommes ne semblent lui en avoir beaucoup imposé. Il avait l'habitude, quand il voulait juger quelqu'un, non seulement de le dévêtir de tous ses ornements extérieurs, mais de lui enlever même les acquisitions intellectuelles, les avantages de pur savoir, lanl qu'ils peuvent encore se détacher de l'esprit, avant qu'ils n'aient passé dans sa substance et se soient perdus en lui en le fortifiant. Il s'appliquait à juger les esprits, non d'après les renseignements qu'on y a versés, mais d'après leurs facultés essentielles de saisir et de comprendre, tenant peu compte des objets auxquels elles s'appliquent, que ce fût une question d'histoire ou une question de culture. Il ne lui parut pas que les cerveaux de ces hommes fussent de plus haute qualité que ceux des hommes qu'il avait connus jusque-là.

1 Cromek. Reliques of Burns, p. 80.

2 J.-J. Rousseou. Confessions. Livre vm (n50-l'752).