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où il m'avoua que son silence était dû à la souffrance qu'il éprouvait en se rappelant ce fait ^ ".

On comprend ce qu'une faute de cette nature peut avoir de pénible pour un esprit susceptible, orgueilleux. Il en garde un long mécontente- ment envers soi-même, et un peu d'éloiguement ou d'appréhension pour ces sociétés si délicates oîi le moindre mot maladroit éveille aussitôt un tel écho de gêne et de silence. Qu'on se rappelle une aventure analogue de J.-J. Rousseau, dont la situation dans le monde n'est pas sans ressemblance avec cette période de la vie de Burns. L'aveu de l'impres- sion désagréable qu'il en conserva concorde avec celui-ci.

J'étais un soir entre deux grandes dames et un homme qu'on peut nommer, M. le duc de Gontaut. Il n'y avait personne autre dans la chambre, et je m'efforçais de fournir quelques mots (Dieu sait quels !) à une conversation entre quatre personnes dont trois n'avaient assurément pas besoin de supplément. La maîtresse de la maison se fit apporter une opiate, dont elle prenait tous les jours deux fois pour son estomac. L'autre dame, lui voyant faire la grimace, lui dit en riant <> Est-ce de l'opiate de M-^ Tronchin ? « — ^^ Je ne crois pas » répondit sur le même Ion la première — ^' Je crois qu'il ne vaut guère mieux » ajouta galamment le spirituel Rousseau. Tout le monde resta interdit, il n'échappa ni le moindre mot ni le moindre sourire, et l'instant d'après la convei-salion prit un autre tour. Yis-à-vis d'une autre, la balourdise eût pu n'être que plaisante; mais adressée à une femme trop aimable pour n'avoir pas fait un peu parler d'elle et qu'assurément je n'avais pas dessein d'offenser, elle était terrible ; et je crois que les deux témoins, homme et femme, eurent bien de la peine à s'empêcher d'éclater. Voilà de ces traits d'esprit qui m'échappent, pour vouloir parler sans trouver rien à dire. J'oublierai difficile- ment celui-là 2.

La seconde escapade est plus vive et un peu plus sérieuse parce qu'elle n'est pas un simple accident mais un trait de caractère. On a vu que le reproche principal qui ait été fait à Burns par tous ceux qui l'ont approché, était une certaine raideur, une impatience, en face de la contradiction, un ton péremptoire et trop affirmatif qui cassait toute "résistance et qui pouvait emporter sa parole un peu loin. Un jour qu'il était à déjeuner dans une société littéraire d'Edimbourg, la conversation tomba sur les mérites poétiques et le pathétique de Y Elégie de Gray, poème qu'il admi- rait beaucoup. Un clergyman, qui faisait profession de paradoxe et d'excentricité dans les idées, s'avisa d'attaquer assez inopportunément le poème. Burns le défendit chaudement et généreusement. Comme les remarques du clergjman étaient plutôt générales que critiques, il lui demanda de citer les passages auxquels il trouvait à redire. L'autre fit plusieurs tentatives, mais toujours en dénaturant, en écorchant, en

1 Walker. Life of Burns, p. Lxxv.

2 Rousseau. Confessions. Livre m, p. 13T.