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remarqué moi-même, que sa façon de s'adresser aux femmes était extrêmement pleine de déférence, et toujours avec un tour vers le pathétique ou l'humoristique, qui engageait tout particulièrement leur attention. J'ai entendu cette remarque faite par feue la duchesse de Gordon. Je ne vois rien que je puisse ajouter à ces souvenirs d'il y a quarante ans *.

Les témoins de cette rencontre ont conservé le mot dont Walter Scott était fier. Biirns s'était approché du jeune garçon, qui avait seul pu lui nommer l'auteur des vers, et, le regardant avec sérieux, lui avait dit : « Vous serez un homme un jour, monsieur. » N'est-ce pas une scène digne de celle de tout à l'heure et faite pour tenter un peintre écossais que le plus grand poète de l'Ecosse donnant, suivant le mot de Charahers, une sorte d'investiture littéraire à celui qui allait en être le grand roman- cier ? 2

A peine, une fois ou deux, a-t-on relevé contre lui un oubli, une imprudence de langage, qu'un homme plus habitué à la société eût évités. Ce sont de menus faits, sans autre valeur que de montrer avec quelle attention méticuleuse il était observé, et sous quel feu croisé d'examens silencieux il se mouvait. Le fait suivant est raconté par Walker. Il se passa chez le D*" Blair chez qui Burns déjeunait. Il faut, pour le comprendre, se rappeler que Blair était ministre de la High Ghurch d'Edimbourg, qu'il passait pour le premier prédicateur d'Ecosse et qu'il avait, dans la chaire même où il parlait, des émules.

On a souvent leproché aux hommes de génie une tendance à commettre des balourdises en compagnie, par suite de l'ignorance ou de la négligence des règles de la conversation, qu'on peut imputer à ce que leurs pensées sont absorbées dans un sujet favori, ou |)ar suite du défaut de la pratique quotidienne des petites conventions de conduite, laquelle est incompatible avec une vie studieuse. D'excentricités de ce genre, Burns était remarquablement exempt; cependant, ce jour-là, il commit une faute plus lourde qu'aucune de celles qu'on raconte des poètes ou des mathématiciens les plus connus pour leur absence d'esprit. On lui demanda dans quel endroit public il avait éprouvé le plus de plaisir. Il nomma la High Church, mais H donna la préférence comme prédicateur au collègue de notre très digne hôte, dont la célébrité reposait sur son éloquence religieuse, d'un ton si net, si distinct, qu'il jeta toute la compagnie dans le plus sot embarras. Le Docteur, il est vrai, avec beaucoup de convenance et de sang-froid, essaya de soulager les autres en secondant cordialement l'éloge si inopportunément introduit. Mais ceci n'empêcha pas la conversation de souffrir de cet effort pénible ; ce qui était inévitable, attendu que la pensée de tous était pleine du seul sujet sur lequel il fût inopportun de parler. Burns doit avoir instantanément compris sa faute, mais il montra qu'il avait repris son bon sens, en n'essayant pas de la réparer. Il en fut tellement mortifié en secret qu'il ne fit jamais mention de celle circonstance, sinon bien des années plus tard,

1 Lockhait. Life of Burns, p. 111-13.

2 R. Ghambers, lom II, p. 58.

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