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Il y a dans cette page plus que Walker n'a cru y mettre. Le portrait, frappant du reste, de Burns récitant ses vers, la face détournée des auditeurs et d'une voix volontairement monotone, n'est pas seulement un portrait, c'est toute une révélation d'une certaine manière de sentir. Tandis que le professeur, qui voit en pédant et souhaiterait plus d'élo- cution, reproche à Burns de ne pas interpréter sa propre poésie, comme on sent ce trait et cette fierté de poète qui ne veut donner à ses vers que leur valeur propre, qui se garde de les réciter comme il réciterait ceux d'un autre. Pourquoi Walker n'a-t-il pas demandé à Burns de lui dire quelque pièce de Fergusson ? Il aurait vu ce que pouvaient ce visage et cette voix. Le brave homme n'a pas compris le jeu intérieur de toute cette scène et son intérêt, mais sa critique ne fait que nous la rendre plus vivante.

Le second témoignage émane d'un homme de plus d'autorité encore que Walker, du grave el sage Dugald Stewart. On a vu qu'il avait remarqué Burns en Ayrshire, au tout premier début du poète et qu'il fut un de ceux qui l'introduisirent dans la haute société littéraire d'Edim- bourg. Ses souvenirs ont un poids tout particulier à cause de la justesse et de la prudence de son esprit :

Les attentions dont il fut l'objet pendant son séjour dans la ville , de la part (les personnes de tout rang et de toute espèce , étaient telles qu'elles auraient tourné toute autre lête que la sienne. Je ne puis pas dire que j'aie perçu le moindre effet défavorable laissé par elles sur son esprit, il conserva la même simplicité de manières et d'apparence, qui m'avait frappé si fortement lorsque je l'avais vu pour la première fois à la campagne ; el il ne semble pas que le nombre et le rang de ses nouvelles relations aient en rien augmenté son opinion de lui-même.

La variété de ses occupations, pendant qu'il éîait à Edimbourg, m'empêcha de le voir aussi souvent que je l'aurais désiré. Pendant le printemps, il vint me prendre une ou deux fois, à ma demande, de 1res bonne heure le matin, et vint se promener avec moi jusqu'aux collines de Braid, dans le voisiuagede la ville. Dans ces occa- sions, il me charma encore plus par sa conversation particulière qu'il ne l'avait jamais fait dans le monde, il était passionnément épris des beautés de la nature, et je me rappelle qu'un jour il me dit que la vue de tant de chaumières, avec leurs fumées, donnait à son àme un plaisir que personne ne pouvait comprendre, qui n'avait pas été comme lui témoin du bonheur et de la vertu qu'elles abritaient.

Je ne me rappelle pas si les lettres que vous m'avez envoyées indiquent ou non que vous ayiez jamais vii Burns. Si vous l'avez vu, il est superflu que j'ajoute que l'idée que sa conversation inspirait des puissances de son intelligence dépassait, si cela est possible, celle qui était fournie par ses écrits. Parmi les poètes qu'il m'est arrivé de connaître, j'ai été frappé, en plus d'une occasion, de l'inexplicable disparate entre leurs talents généraux et les inspirations occasionnelles de leurs moments plus favorises. Mais toutes les facultés de l'esprit de Burns étaient, autant que j'en ai pu juger, également vigoureuses ; et sa prédilection pour la poésie était plutôt le résultat de sou tempérament passionné et enthousiaste que d'un génie exclusive- ment propre à ce genre de composition. D'après sa conversation, j'aurais déclaré