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générale et complète d'un homme. Elles sentaient que celui-ci, malgré son ignorance relative, avait été créé par la nature plus puissant que les autres, qu'il était le plus grand de tous ceux qui se trouvaient là. Elles sentaient surtout qu'il était plus capable de passion, qu'il avait souffert, et que peut-être il était destiné à souffrir davantage. Elles lui savaient gré de toucher en elles des tendresses et des pitiés plus profondes ; elles l'admiraient avec une sorte de commisération et de sympathie. « C'est le seul homme, disait la duchesse de Gordon qui fut l'idole de Londres, dont la conversation m'ait fait perdre pied ^ » Il faut ajouter, point important, qu'elles sentaient leur puissance sur lui et qu'il les appro- chait avec un culte et une constante préoccupation d'elles, autrement flatteurs que les plus ingénieuses urbanités. Sa manière de leur parler était « pleine de déférence, toujours avec un tour soit vers le sentimental, soit vers l'humour, qui réveillaitleurattention d'une façon toute spéciale.^» C'était encore la duchesse de Gordon qui disait cela et c'est là un fin jugement féminin. Avec la réserve qui lui était imposée, il abordait les grandes dames d'Edimbourg de la même façon que les filles de Mauchline. Il avait trouvé d'instinct ce mélange indéchiffrable de raillerie et de sérieux, qui est le dernier mot de la séduction et qui prend les femmes par ce qui en elles aime à être aimé, et ce qui sait gré d'être dominé.

Aussi son succès fut éclatant. En quelques jours, il devint le héros, le lion de la saison. Partout il était recherché, invité, choyé, fêté. On ne parlait que de lui. On le montrait dans la rue. Le jeune Jeffrey, alors un écolier de treize ans, voyant passer un homme dont l'aspect l'avait frappé, s'était arrêté pour le regarder. Un marchand debout sur le seuil de sa boutique lui tapa sur l'épaule en lui disant : « Oui, gamin, tu peux bien regarder cet homme-là, c'est Robert Burns ! » Et l'enfant s'éloigna pensif 3. De tous côtés lui venaient des témoignages d'intérêt et d'admi- ration. Un jour c'était une main inconnue qui laissait chez le libraire 10 guinées pour le poète de l'Ayrshire *. Un autre jour dans une réunion de francs-maçons, il était acclamé. « Je suis allé hier soir à la Loge maçon- nique, où le Révérend Grand-Maître Charteris et toute la grande Loge d'Ecosse étaient présents. Le meeting était nombreux et élégant ; toutes les différentes loges de la ville étaient présentées dans toute leur pompe. Le Grand-Maître, qui présidait avec grande solennité et d'une façon qui lui faisait honneur comme gentleman et comme maçon, parmi d'autres toasts, donne « La Calédonie et le barde de la Calédonie, frère Burns. »

1 AUan Cunningham. Life of Burns, p. 41.

~ Voir plus bas les souvenirs de Walter Scott sur Burns.

3 Lord Cockburn, Life of Jeffrey, p. "7.

4 To John Ballanline, ISth Dec. 1786.