Page:Angellier - Robert Burns, I, 1893.djvu/223

Cette page n’a pas encore été corrigée

— 212 —

plus frappante de son génie. Il était plein de pensée et donnait l'idée qu'il aurait été, s'il avait appartenu à quelqu'un qui s'en serait servi avec art, un puissant moyen d'expression ^ ». C'était cet éloquent œil noir qui frappait tout le monde. Quand on l'avait vu, il était impossible de l'oublier. « Il y avait sur tous ses traits une forte expression de bon sens et de pénétration, dit Walter Scott, l'œil seul je crois, indiquait un caractère et un tempérament poétiques. Il était large et d'une teinte sombre qui flamboyait (je dis littéralement flamboyait) quand il parlait avec sentiment ou intérêt ^ ».

Il se présenta sans timidité, sans gaucherie, sans cette lourdise qui fit tant souffrir J.-J. Rousseau, sans trop d'assurance, mais sans fausse modestie, et sans humilité excessive. 11 n'essaya pas d'affecter des ma- nières que son éducation ne lui avait pas données et que son physique ne lui permettait pas. Il arriva simplement, virilement, en homme qui est ferme sur ses jambes et peut regarder tout le monde eu face. Sa rec- titude d'esprit lui inspira ce qui était convenable; il avait du premier coup mis le doigt sur la note juste. Ce n'était ni un rustre ni un faux gentilhomme qui était là, c'était un homme doQt l'esprit effaçait les dehors, et dont la dignité entendait se faire respecter partout. Et ce fut d'abord une approbation silencieuse.

Mais quand on l'entendit parler l'approbation se changea en étonne- ment. Ce jeune laboureur s'exprimait sur tous les sujets, avec une souplesse et une vigueur de pensée, avec un éclat et une pureté de langage dont ses auditeurs restaient confondus. Il semblait deviner les choses, les saisir, les pénétrer, à la façon des poètes, dans leur complexité vivante. C'est ainsi qu'il semble que Shakspeare dut tout comprendre. Il avait, avec cette rapidité d'esprit, un solide bon sens et une force de raisonnement qui frappa toujours ceux qui le con- nurent, et par laquelle il suppléait, dans les discussions, à ce qui lui man- quait en connaissances. Tout cela venait en une parole nerveuse , originale, toujours mouvementée, sans cesse variée, pleine tantôt d'une large force comique, tantôt d'une énergie et d'une élévation supérieures, qui éblouissait et faisait taire tous ces orateurs surpris. Chose incroyable, le charme de Dugald Stewart , l'esprit d'Erskine , l'éloquence de Richardson , semblaient petits et factices à côté de ce discours neuf, jeune et chargé de sève. Quand il était quelque part, tous ces hommes illustres disparaissaient. C'était lui le vrai maitre , devant qui les autres restaient silencieux, inquiets et presque respectueux, comme devant une force inexplicable que ni l'étude, ni la lecture, ni les veilles ne peuvent donner, et en présence de laquelle les talents restent interdits ^.

1 Walker. Life of Bums, jj. LXXI.

2 Walter Scott. Réminiscences of Bums, ciié par Lockhart. ^ Voir Garlyle, Essay on Bwins.