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famillesrestaient dans la même ruelle, souvent dans la même maison. On se parlait de fenêtre à fenêtre ^ « Beaucoup des Erskines, des Stairs, des Dalrymples et autres parents vivaient en société, dans un cercle de cent yards de diamètre, et il était facile de rassembler une réunion de famille en quelques instants ^. » Ce qui se faisait entre les membres d'une même famille, se faisait entre familles amies. On se recevait beau- coup, sans grande dépense ^. La causerie d'hommes instruits et éloquents était le grand charme de ces réunions. Il y avait donc une vie de conversation très développée et qui ressemblait un peu à la vie française. Mais au lieu de la parole légère, pétillante, brillante, pleine de bonds et de surprises, d'éclat, de fantaisie et d'esprit qui animait nos salons, c'était une conversation plus sérieuse, plus posée, qui se rapprochait plus de la discussion suivie et qui, avec peut-être autant de hardiesse ou de paradoxe, avait une allure plus mesurée et un ton plus dogmatique. L'esprit n'y manquait pas, ni le charme, ni l'élégance, mais ils s'exerçaient avec une sorte de discipline et de tenue professionnelles. Les maîtres de la conversation n'étaient pas, ainsi qu'à Paris, des hommes de lettres et des bohèmes comme Rousseau, Diderot, Duclos, Galiani, Beaumarchais; c'étaient des juges, des clergymen , des professeurs, des avocats, portant tous, plus ou moins, la dignité de professions graves et vêtues de noir, sans oublier l'atmosphère religieuse où tout ce monde se mouvait. Mais à part cette différence, Edimbourg était sûrement à cette époque, avec Paris, la ville d'Europe où la conversation était poussée au plus haut degré de perfection et était davantage un des éléments de la vie sociale.

Quel effet ce paysan récemment enlevé à sa charrue allait-il produire dans ces salons? Comment ce garçon, qui n'avait jamais eu d'autre compagnie que celle de laboureurs et d'ouvriers et, de temps en temps, quelques heures de conversation d'un homme de loi de bourgade ou d'un médecin de campagne, comment ce garçon allait-il se comporter dans ce monde difficile et raffiné ? Comme toute les sociétés mondaines celle-ci était exercée à percevoir les moindres nuances de tenue, habile à saisir les moindres écarts, les moindres manquements ; il s'y maniait une observation subtile et aiguë. On attendait ce phénomène avec curiosité ; car s'il y a dans l'histoire littéraire des cas analogues, il n'y en a peut- être pas un de semblable, où la renommée ait été si brillante, la transition si brusque, l'épreuve si difficile. La chose fut bien vite réglée. La manière dont Burns se tira de ce pas est un des endroits les plus curieux de sa vie et qui révèle le mieux quelles ressources de tout genre il y avait en lui.

Il était arrivé à Edimbourg dans un costume qui ne différait guère de

1 Walter Scott. Provincial Antiquities of Scotland ; General account of Edinburgh.

2 H. Erskine and His Times, hy Litut-Colonei Alex Fergusson, p, 128. ^ Walter Scoli. Provincial Antiqutlios of Scotland. Id.