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pont du Doon, avec soa arche unique. En face, s'étagent des collines à pentes douces, couvertes de champs et parsemées de bouquets de bois. Elles n'avaient pas sans doute l'aspect de riche culture qu'elles ont aujourd'hui ; mais elles présentaient déjà un paysage ramassé, de propor- tions moyennes , formant un ensemble et portant , de quelque côté qu'on se tournât , la marque de l'homme.

C'est là que, dans sa première enfance, Burns courut et gambada librement, pieds nus, tête nue, comme un vrai gamin écossais, et vécut de la vie des petits paysans. Il devait parfois vagabonder jusqu'à Ayr, qui lui paraissait sûrement une grande viilc. Mais le plus souvent il a dû aller courir dans l'eau , sur les cailloux aux bords du Doon qui avait pour lui l'attrait qu'ont les ruisseaux pour les enfants. C'était, c'est encore — car, comme dit le rivulet de Tennyson, les ruisseaux passent moins vite que les hommes — une bonne rivière pour y jouer, peu profonde , assez rapide , un de ces cours d'eau dont les bonds semblent prendre part à la gaîté des petits garçons qui jouent avec eux. Surtout il est semé de gros galets et de rochers au milieu desquels il est si amusant de sauter de l'un à l'autre, en se mouillant un peu. Il y avait aussi cette bordure touffue de coudriers et de noisetiers, sous lesquels court et écume le flot, et qui étaient pleins d'oiseaux en avril et de noisettes en septembre. Plus d'une fois le gamin ardent au jeu dut s'y attarder, et revenir bien vite lorsque, le soir tombant, il fallait, pour rentrer à la maison, repasser devant la vieille église ruinée d'Alloway qu'on disait hantée. Ce coin de pays, qui a servi de trame à ses premiers souvenirs, se retrouve tout entier dans ses poèmes, depuis l'antique pont d'Ayr et l'auberge de la Grand'Rue jusqu'à la vieille église mystérieuse et au pont du Doon, sur lequel la sorcière en chemise devait brandir déses- pérément, dans les éclairs et l'orage, la queue de la jument de Tarn de Shanter.

D'autre part, c'est peut-être le voisinage de la ville d'Ayr qui éveilla en Burns les sentiments de patriotisme rétrospectif par lesquels il est cher aux cœurs écossais. Ayr est une ville à souvenirs historiques. C'est là que William Wallace , le héros et le martyr de l'indépendance écossaise , à ce que raconte la légende, brûla 5.000 Anglais dans les magasins à grains qu'on appelait les granges d'Ayr. Le nom de William Wallace était resté vivant dans la contrée et sa vie était un des livres de lecture populaire. Un des premiers livres que Burns ait lus était une vie de Wallace que lui avait prêtée un forgeron, et lui-même raconte l'effet qu'il en ressentit. « La vie de Wallace versa dans mes veines un enthousiasme écossais qui y bouillonnera jusqu'à ce que les écluses delà vie se ferment dans le repos éternel. * » Ajoutez que c'est dans le district voisin du Carrick que Robert Bruce , le continuateur de Wallace , le

1 Auiobiographical Letter to U^ Moore.