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Involontairement on se demande quel a été le rôle de Burns en tout ceci, et cette question, une fois venue dans l'esprit, ne se laisse pas aisé- ment renvoyer. Lui-même a rapporté cet incident dans ces mots qui suivent immédiatement le récit de la journée de mai. « A la fin de l'automne suivant, elle traversa la mer pour me retrouver à Greenock, 011 elle était à peine débarquée qu'elle fut saisie d'une fièvre maligne qui, en peu de jours, poussa ma chère fille dans la tombe avant même que je fusse informé de sa maladie ^. » Mais comment arrangeait-il cette union avec la passion qui l'avait repris. Qu'il fût sincère quand il maudissait l'heure et le moment du temps qui le rendrait infidèle, cela est probable. Il pouvait croire que l'indignation avait tué l'ancien amour, et prendre pour une guérison le baume que répandait une douce présence. Mais voici que la maîtresse possédée avait reparu, ressaisi son pouvoir, chassé devant des désirs troublants, des souvenirs impétueux, la modeste et tranquille image de l'absente. Quelle imprudence, quelle faute il avait commise ! Que pouvait-il faire ? Sans briser réellement, laissa-t-il voir , peut-être malgré lui , par l'espacement des lettres, par leur froideur, leur gêne, le changement qui s'était fait en lui ? Et elle, le devina-t-elle ? Eut-elle les serrements de cœur et les larmes silen- cieuses des abandonnées ? On ne peut s'empêcher de le penser et il semble que les faits fassent de cette supposition une probabilité. Sur la Bible qui appartint à Mary Campbell, les deux noms sont presque effacés, comme si on avait mouillé le papier et essayé de faire disparaître avec le doigt les Iraces d'un vœu violé ^.

Après la mort de sa fille, le père brûla les lettres de Burns, et quand celui-ci lui écrivit une lettre émouvante pour lui demander un souvenir de celle qu'il avait aimée, il refusa de lui répondre et défendit qu'on mentionnât son nom devant lui '. Dans les pièces que Burns consacra à cet amour, on sent comme une secrète accusation contre soi-même. Enfin il y a une lettre de lui de cette époque qui ne s'applique à rien d'autre. Elle est du commencement d'octobre et adressée à son ami Robert Aiken.

» Je suis, depuis quelque temps, miné par un chagrin sincère, secret, dû à des causes que vous connaissez assez bien : la déception, le désappointement, la piqûre de l'orgueil, avec quelques coups de couteau de remords qui ne manquent jamais de s'abattre comme des vautours sur mes parties vitales, quand mon attention n'est pas détournée par les demandes de la société ou les poursuites de la muse. Même dans ces moments, ma gaîté n'est que la folie d'un condamné ivre entre les mains du bourreau^. •'

1 Rcmaiks in an interleavvd copy of Johnson' s muséum.

2 Voir, à défaut des volumes, le fac-similé des inscriptions donné par Scott Douglas, tom I, p. 298-99.

3 R. Chambers, tom. I, p. 325.

4 To Robert Aiken, About 8th October nsô.