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entre les fenêtres de l'auberge et celles de la maisonnette, avec des entre- vues furtives et dangereuses. Ces relations duraient depuis un peu plus d'une année. Le 17 février 1786, Burns écrivait à son ami John Richmond, à Edimbourg: « J'ai quelques très importantes nouvelles en ce qui me concerne, pas des plus agréables ; ce sont des nouvelles que sûrement vous ne pouvez pas deviner ; je vous en donnerai des détails une autre fois ^ ». C'est le premier indice des tribulations et des orages qui allaient éclater. Jane était enceinte. C'était un coup terrible ! C'était la ruine ; c'était bien pis encore ! La ruine, elle était déjà venue ; la récolte de 1785 avait été manquée et les deux frères, à bout de ressources, avaient compris et s'étaient dit qu'ils ne pouvaient aller beaucoup plus longtemps. Mais ce nouveau coup c'était la ruine dans la ruine, le naufrage, la perdition. Brusquement les conséquences se déroulaient autour des deux amoureux ; ils étaient debout dans l'âpre moisson de leur faute. C'était une nouvelle tristesse à apporter au foyer de Mossgiel. Qu'allait devenir Jane quand il faudrait faire cet aveu chez elle, à son père surtout ? Et derrière ces scènes cruelles, quand leur malheur, déjà trahi par leurs visages troublés, courrait le pays dans quelques semaines, c'était la masse confuse du scandale, des reproches, des ironies, des affronts, des humiliations, qui allait éclater. Ils pouvaient déjà en entendre le flot derrière cette muraille de quelques jours. Et ces avanies se chargeraient de toute la rancune des dévots. C'étaient toutes les angoisses et les affres, tout le drame des grossesses de filles , qui fait passer les égarements dans l'esprit et obtient des mères qu'elles tuent leur enfant.

Dans l'âme excessive et surexcitée de Burns , ces prévisions se déchaînèrent en un véritable affolement. Il ne songea plus qu'à quitter le pays, à fuir tout droit devant lui , comme un bœuf taonné. De quels reproches, de quelles récriminations, de quelle querelle entre les deux amants ce désespoir se compliqua-t-il ? Il n'en reste de trace qu'un lambeau de lettre déchirée, incomplet mais douloureusement cruel. « Contre deux choses je suis aussi décidé que le destin : rester dans le pays et la reconnaître pour ma femme ! La première chose, par le ciel, je ne la ferai pas : — la seconde, par l'enfer, je ne la ferai jamais. Un bon Dieu vous protège et vous rende aussi heureux que le désire ardemment en pleurant l'amitié qui s'éloigne. Si vous voyez Jane, dites-lui que je la rencontrerai, ainsi m'aide Dieu en mon heure de besoin^ ». C'est la dernière amertume quand, au fond d'une faute commune, un homme et une femme, au lieu de trouver une tristesse partagée et une tendresse accrue par un besoin et une pensée de soutien mutuel, rencontrent l'acrimonie et la discorde.

^ To John Richmond, \1 February 1786. 2 To James Smith, Mauchline.