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est l'élément principal du costume calédonien, la jeune inconnue porte un large manteau de couleur verdâtre, dont le lustre est moiré de lumières profondes et d'ombres. Il est orné de broderies étranges qui représentent le pays d'Ayr : on y voit des montagnes, des vagues qui marquent la côte, des fleuves, des villes. Il est parsemé en outre de scènes où figurent ceux qui ont illustré ou défendu ce coin de terre écossaise. En sorte que les plis changeants du manteau montrent tantôt une scène tantôt une autre, et font varier, avec les mouvements de celle qui le porte, les images dont il est brodé.

Tandis que le poète stupéfait la regarde, l'apparition s'adresse à lui. Elle répond du premier coup aux inquiétudes et aux amertumes dont il était assailli ; ses paroles ont une douceur chaste et une autorité dont le poète se rend compte. Ce n'est déjà plus la fdie au corps gracieux ; en un instant, il en est venu à employer des mots qui ne connaissent plus que le respect.

Avec un songement profond, un regard étonné,

Je regardais cette beauté qui seniblait céleste :

Un murmure, un battement de cœur me donnait témoignage

D'une parenté secrète ;

Quand avec l'air d'une sœur aînée

Elle me salua :

(I Salut, mon poète, inspiré par moi,

Vois en moi ta muse native,

Ne te plains plus que ton lot soit dur

Si pauvre et si humble !

Je viens te donner la récompense

Que nous autres accordons. >

Ensuite, elle lui révèle qui elle est. Non sans quelque longueur, elle lui explique qu'elle fait partie de ces bons génies qui allument, dans un pays, toutes les flammes nécessaires pour qu'il vive, se défende et jette son éclat. Les uns suscitent des soldats; les autres des hommes d'État ; d'autres des inventeurs, des artisans ; d'autres enfin des poètes. C'est à cette classe de génies qu'elle appartient et depuis longtemps elle veille sur son cher poète. Tout le discours qui suit alors devient admirable. Elle lui représente la vie qu'il a vécue. Les jours qu'il voyait tout à l'heure perdus, enlaidis, inutiles, repris par cette parole enchan- teresse, repassent devant lui rehaussés, éclairés, dignes de lui, dignes d'elle. Il n'avait vu tout à l'heure que l'envers de sa propre vie ; en voici le vrai côté, avec de belles et nobles images, avec son véritable sens. Il écoute dans le ravissement ces mots qui le raniment et le rassurent vis à vis de lui-même :

Coila est mon nom, Et je revendique ce district comme mien,