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La Jeune Fille.

Je ne bois que l’eau calme et franche des fontaines !
Le vin tumultueux, plein d’ivresses hautaines,
De courroux imprévus et de tristesse lourde,
Qu’il sorte d’un royal calice ou de la gourde
Que porte un mendiant suspendue à sa corde,
Est un brusque breuvage et brutal qui s’accorde
Avec les rudes mœurs et l’âpre cœur des hommes.
Qu’ils le gardent pour eux ! À nous, femmes, qui sommes
Amantes de la paix et des paroles douces,
La source sous son roc, le ruisseau sur ses mousses
Plaisent mieux que la cuve où la vendange écume,
Et l’eau qu’un plant prochain d’anémones parfume,
Limpide et dans le creux de nos mains aspirée,
Vaut le vin que contient l’amphore saupoudrée,
Qui porte dans ses flancs la vanité prolixe,
Le sarcasme grossier, la querelle et la rixe.
Tu garderas pour toi ton dangereux cratère
Où plus le buveur boit moins il se désaltère,
Tant que la marche auguste et sûre des étoiles
Se trouble et se confonde aux invisibles voiles
Dont la brumeuse ivresse enveloppe sa vue,
Et flotte dans les airs déchirée et tordue.