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LES NOCES CHYMIQUES

En outre, le page tenait la liste de nos demeures ; je ne chercherais pas à cacher la mienne si je ne craignais qu’on ne me taxât d’orgueil, péché, qui cependant ne peut surmonter l’épreuve du quatrième poids.

Or, comme nous étions traités d’une manière merveilleuse, nous demandâmes à l’un des pages s’il nous était permis de faire porter quelques aliments à nos amis prisonniers, et, comme il n’y avait aucun empêchement à cela, nous leur en fûmes porter abondamment par les serviteurs, toujours invisibles pour eux. Ils ignoraient donc, de ce fait, d’où leur venaient les aliments ; c’est pourquoi je voulus en porter moi-même à l’un d’eux ; mais aussitôt l’un des serviteurs qui se trouvaient derrière moi m’en dissuada amicalement. Il m’assura que si l’un des pages avait compris mon intention, le roi en serait informé et me punirait certainement ; mais comme personne ne s’en était aperçu, sinon lui, il ne se trahirait point. Toutefois, il m’invita à mieux garder le secret de l’Ordre dorénavant. Et en me parlant ainsi, le serviteur me rejeta si violemment sur mon siège, que j’y restai comme brisé pendant longtemps. Néanmoins je le remerciai de son avertissement bienveillant, dans la mesure où mon trouble et mon effroi le permirent.

Bientôt les trompettes sonnèrent ; comme nous avions remarqué que cette sonnerie annonçait la vierge, nous nous apprêtâmes à la recevoir. Elle apparut sur son trône, avec le cérémonial habituel, précédée de deux pages qui portaient, le premier une coupe en or, l’autre un parchemin. Elle se leva avec grâce, prit la coupe des mains du page et nous la remit par ordre du Roi afin que nous la fassions circuler en son honneur. Le couvercle de cette coupe représentait une Fortune exécutée avec un art parfait ; elle tenait dans sa main un petit drapeau rouge déployé. Je bus ; mais la vue de cette image me remplit de tristesse car j’avais éprouvé la perfidie de la fortune.

La vierge était parée, comme nous, de la Toison d’or