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LES NOCES CHYMIQUES

mes mouvements et l’un d’eux, tout en restant invisible, me coupa adroitement les cheveux sur le sommet de la tête ; il respecta cependant mes longs cheveux blanchis par l’âge sur mon front et sur mes tempes.

J’avoue que, de prime abord, je faillis m’évanouir ; car je croyais que Dieu m’avait abandonné à cause de ma témérité au moment où je me sentis soulevé si irrésistiblement.

Enfin, les perruquiers invisibles ramassèrent soigneusement les cheveux coupés et les emportèrent ; les deux pages revinrent alors et se mirent à rire de ma frayeur. Mais à peine eurent-ils ouvert la bouche qu’une petite clochette tinta, pour réunir l’assemblée ainsi qu’on me l’apprit.

Les pages me précédèrent donc avec leurs flambeaux et me conduisirent à la grande salle, à travers une infinité de couloirs, de portes et d’escaliers. Une foule de convives se pressait dans cette salle ; on y voyait des empereurs, des rois, des princes et des seigneurs, des nobles et des roturiers, des riches et des pauvres et toutes sortes de gens ; j’en fus extrêmement surpris en songeant en moi-même : « Ah ! suis-je assez fou ! pourquoi m’être tant tourmenté pour ce voyage ! Voici des compagnons que je connais fort bien et que je n’ai jamais estimés ; les voici donc tous, et moi, avec toutes mes prières et mes supplications, j’y suis entré le dernier, et à grand’peine ! »

Ce fut encore le diable qui m’inspira ces pensées et bien d’autres semblables, malgré tous mes efforts pour le chasser.

De ci et de là, ceux qui me connaissaient m’appelaient : « Frère Rosencreutz, te voilà donc arrivé aussi ? » — « Oui, mes frères », répondis-je, « La grâce de Dieu m’a fait entrer également ». Ils rirent de ma réponse et me trouvèrent ridicule d’invoquer Dieu pour une chose aussi simple. Comme je questionnais chacun sur le chemin qu’il