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SIXIÈME JOUR

Nous posâmes ces adorables enfants sur deux petits coussins en satin et nous ne cessâmes de les regarder sans pouvoir nous détacher de ce gracieux spectacle. Mais le vieillard nous rappela à la réalité ; il nous remit le sang de l’oiseau recueilli dans la petite coupe en or et nous ordonna de le laisser tomber goutte à goutte et sans interruption dans la bouche des figurines. Celles-ci grandirent dès lors à vue d’œil, et ces petites merveilles embellirent encore en proportion de leur croissance. Je souhaitai que tous les peintres eussent été là pour rougir de leurs œuvres devant cette création de la nature.

Mais maintenant elles grandirent tellement qu’il fallut les enlever des coussins et les coucher sur une longue table garnie de velours blanc ; puis le vieillard nous ordonna de les couvrir jusqu’au-dessus de la poitrine d’un taffetas double et blanc, très doux ; ce que nous fîmes à regret, à cause de leur indicible beauté.

Enfin, abrégeons ; avant que nous leur eussions donné tout le sang, elles avaient atteint la grandeur d’adultes ; elles avaient des cheveux frisés blonds comme de l’or et, comparée à elles, l’image de Vénus que j’avais vue auparavant, était bien peu de chose.

Cependant on ne percevait encore ni chaleur naturelle ni sensibilité ; c’étaient des statues inertes, ayant la coloration naturelle des vivants. Alors le vieillard, craignant de les voir trop grandir, fit cesser leur alimentation ; puis il leur couvrit le visage avec le drap et fit disposer des torches tout autour de la table.

— Ici je dois mettre le lecteur en garde, afin qu’il ne considère point ces lumières comme indispensables, car l’intention du vieillard était d’y attirer notre attention pour que la descente des âmes passât inaperçue. De fait, aucun de nous ne l’aurait remarquée, si je n’avais pas vu les flammes deux fois auparavant ; cependant je ne détrompai pas mes compagnons et je laissai ignorer au vieillard que j’en savais plus long.