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voyage du condottière

Combien de peintres, en Italie, ont valu les luthiers ? Combien d’églises ou de toiles valent les violons ?

Dans le violon, l’orchestre a trouvé sa voix, plus qu’humaine. De l’humble boîte à une corde, inventée par les Celtes, jusqu’aux violons, que de lents progrès, que de recherches, et quelle longue suite de générations ! Mais ici on s’arrête : c’est la perfection.

Le violon est le roi du chant. Il a tous les tons et une portée immense : de la joie à la douleur, de l’ivresse à la méditation : de la profonde gravité à la légèreté angélique, il parcourt tout l’espace du sentiment. L’allégresse sereine ne lui est pas plus étrangère que la brûlante volupté ; le râle du cœur et le babil des sources, tout lui est propre ; et il passe sans effort de la langueur des rêves à la vive action de la danse.

Notre violon n’a plus changé depuis tantôt quatre siècles. Il est tel que l’ont légué à la musique les luthiers de Crémone, vers 1550, avec les quatre cordes accordées en quintes, le manche étroit, et l’ardente volute qui fait chapiteau au bout du cheviller.

Qu’il est beau, ce violon, de couleur et de forme.

Ses lignes sont un poème de grâce : elles tiennent de la femme et de l’amphore ; elles sont courbes, comme la vie. Et tant de grâce exprime l’équilibre de toutes les parties, la fleur de la force.

Dans un violon, tout est vivant. Si je prends un violon dans mes mains, je crois tenir une vie. Tout est d’un bois vibrant et plastique, aux ondes pressées : ainsi l’arbre, le violon brut de la forêt, rend en vibrations tous les souffles du ciel et toutes les harmonies de l’eau. C’est pourquoi, il ne faut qu’un rien pour changer la sonorité du violon : le chevalet un peu plus haut ou