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voyage du condottière

contemple le mortel désir. Et le désir qui contemple la nudité. Un baiser trempé d’angoisse monte doucement vers le ciel, qui brûle au crépuscule. Telle est la mélancolie amoureuse de Monteverde, et jusqu’où elle me touche. Sa lassitude est un constant aveu d’amour. Et par delà les grâces de la volupté, quel parti de fuir, dans le seul amour, toute la vanité du monde. Monteverde est l’Italien le moins superficiel qu’il y ait eu depuis Michel Ange.

C’est pour avoir fait de si beaux instruments, à Crémone, qu’ils ont eu Monteverde. Le Crémonois a renouvelé la musique, comme après tout devait le lui permettre le parfait quatuor des cordes. Il a fait chanter la voix sur la ligne de la passion humaine. Et, au bel arbre d’harmonie, il a cueilli la fleur d’un nouvel accord. Déjà, il tente la féerie des timbres.

Sort de la musique ! Elle m’a longtemps été toute Crémone, et à Crémone, elle n’est plus rien. Ni les luthiers, ni Monteverde n’y vivent plus.

Chaque grand musicien passe pour le dernier. Et l’art, dit-on, ne peut aller au delà. Monteverde fut le Wagner de son temps ; il a été le magicien de la tendre septième, cette fée. Mais toute musique est pauvre d’émotion, et paraît vide après quelque cent ans. Pourtant, l’idée n’est qu’endormie sous la poussière. Car enfin tout art, quel qu’il soit, n’est qu’un moyen pour l’homme d’exprimer sa pensée et sa passion. Où sont-elles, si l’expression ne nous en émeut plus ? Et ne cesse-t-on pas d’y être sensible ? Trop de chair en cet art : il périt avec la chair. Tant de passion s’épuise et se refroidit avec ceux que passionna la même idole. Rien ne demeure qu’un accord, une note, un souvenir. Ce qui fut une conquête enivrante, devient une habitude. Les musiciens s’en vont, et la musique reste.