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voyage du condottière

semble à Saint Vincent de Paul et au bon marquis de Peiresc, ce vaste esprit. Qu’il est triste et pensif ! Certes, il a le front brûlant. Une lueur de fièvre modèle ses traits, et les lime. Il a l’air égaré et calme ; sa rêverie tient du délire.

À Saint-Augustin ou à San Pietro, il ne me souvient plus, dans la ruelle chaude et noire où je cherche en vain un peu d’ombre, j’entends le sanglot de Poppée. La mélopée chante à mon oreille : elle est suave, elle est cruelle.

Il fait un ciel de plomb et de cuivre. Le soleil brûle sous la cendre. Les dômes et les clochers cuisent au four de la méridienne. Les rues et les toits sont des pains qui charbonnent.

Ha ! derrière cette porte et ces murailles denses, que des feuilles caressent, un jardin, une salle fraîche devant un jet d’eau étincelant et silencieux, un orchestre caché dans les arbres, des voix sans clavecin, et l’amoureuse douleur de Poppée qui chante ! C’est ici que je voudrais l’entendre, ou la plainte d’Orphée. Mais non, plutôt encore l’adieu de Poppée, d’une langueur si voluptueuse, d’une grâce si séduisante. Elle s’attarde, cette mélodie ; elle tourne la tête, elle tend les bras. Elle est prête à pâmer d’amour, pour peu qu’on la retienne, ou qu’un seul soupir la rappelle. Quelle caresse elle aura dans les larmes. L’âme des amants se révèle à leurs pleurs.

Ici, pour la première fois, peut-être, la force de l’amour et sa volupté même se reconnaissent plus ardentes et plus intenses dans la douleur. L’amour n’est plus dans le seul plaisir qu’on prend et que l’on donne. Il est enfin plus profond que sa propre joie. Il est fait d’une vie qui ne se sent jamais si pleine, que lorsqu’elle s’abandonne, ni si comblée que d’ardemment souffrir.

Les yeux dans les yeux, et la promesse des lèvres aux lèvres : voilà la lumière de cette mélodie et son contour. La nudité qui