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voyage du condottière

La Sainte de Luini n’est plus Catherine, la fille du roi Coste, qui fut instruite dans tous les arts libéraux. Grâce au ciel, ce n’est point la terrible vierge qui discute avec l’empereur Maxence, « conformément aux divers modes du syllogisme, par métaphore et par allégorie » ; celle que cinquante docteurs de Sorbonne n’ont pu réfuter, en Égypte ; et qu’elle confond, au contraire, par des raisons si bien déduites, que réduits au désespoir et au silence, dans la douleur de ne pouvoir plus braire, ils s’en vont pendre incontinent. Il est dit de cette vierge formidable, qui provoqua d’innombrables massacres, qu’ayant eu la tête tranchée, de son col jaillit du lait au lieu de sang. Les anges recueillirent alors ce corps sacré, et le transportèrent sur le Mont Sinaï, pour l’y ensevelir[1].

Le gentil Luini ignore les fureurs de la martyre, et de l’absurde Maxence, cet ours enragé qui n’ouvre la bouche que pour mordre, déchirer, et ordonner des supplices.

Comme il se promenait sur les rives natales, au bord du lac, entre Luino et Laveno, à Lugano peut-être, il a trouvé la jeune fille sur un lit de fleurs. C’était la propre nymphe de l’idylle, qui venait de quitter les fraîches demeures du Roi Lugano, son père. Il la voulait marier à un fleuve, riche et beau comme l’été. Mais la vocation de la nymphe était de rester vierge, et de n’épouser que le ciel. Elle est montée sur le flot ; elle a posé le pied sur la prairie. Et l’air de la terre l’a tuée.

Trois anges, alors, trois anges au visage de femme, qui sont des fées, volent d’en haut, comme l’alouette descend ; ils viennent quérir la fillette pour la mettre dans un beau lit de marbre, orné d’hippocampes, où, quand la lune sera levée, elle se réveil-

  1. À la Brera.