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voyage du condottière
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une cloche de fer blanc, un gong au timbre de casserole, tintant dix fois par minute, marque le pas de ces bêtes sans pattes.

Peu de mendiants : sans doute, on ne les admet pas dans les gares, ou on les écrase. Mais une foule d’esclaves : chaque homme porte un signe qui fait aussitôt savoir s’il voyage en wagon-lit, ou en troisième classe. Ils ne mendient pas, non : ils ont la dignité des malheureux qui meurent d’un salaire ; et il suffit de voir ces visages flétris, ces peaux vertes, cet air de hâte et de crainte, ces haillons décents, pour admirer combien le droit de voyager en dernière classe ajoute de bonheur et de noblesse au sort de l’homme.

En plaine, ouverte à tous les vents, inerte et clouée sous la canicule, étouffante et glaciale, basse et prospère, riche et nulle, cette ville en forme de roue, avec un dôme pour essieu au moyeu d’une place, Milan tourne à la croix des routes, et tous les rais de l’industrie ou du commerce convergent à ce centre de l’Italie. Londres est le poulpe géant, qui cache sa tête sous le fleuve, à Tower Bridge ; et ses mille bras, tous les jours, collent à la terre une nouvelle ventouse, un lichen de maisons basses qui soufflent de la fumée au ciel, et qui pompent les sucs de l’univers ; Londres a la voix sous-marine, et les rauques sirènes parlent pour elle ; et peu à peu, toute l’Angleterre s’est faite pieuvre autour de Londres, la gueule, où langue sans repos, la Tamise goûte, avale, crache et salive. Les tentacules cherchent le sang de tout le globe ; et l’Angleterre meurt si l’on retourne sur sa tête le capuchon des mers, ou si l’on tranche les bras du monstre. Je pourrais dire la figure de Rome, cette idole aux sept mamelles, nourrice dont on a décollé la tête ; et le visage de Paris, ce triple cerveau concentrique à un ravissant sexe de femme, où sinue la Seine : et tantôt la France est sage de cette pensée, tantôt elle est