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voyage du condottière

aigu d’Érasme, ce scalpel à tailler les croyances en minces lanières, ne doit pas lui suffire. L’idée d’Holbein est bien plus forte, d’une violence assurée et cruelle. Point d’ironie, mais un sarcasme meurtrier : la négation glacée, et non le doute.

Holbein me donne à croire qu’il est un athée accompli. Ils sont très rares. Le Christ de Bâle me le prouve : il n’y a là ni amour, ni un reste de respect. Cette œuvre robuste et nue respire une dérision calme : voilà ce que c’est que votre Dieu, quelques heures après sa mort, dans le caveau ! voilà celui qui ressuscite les morts !

L’âme insolente d’Holbein, sa pensée impassible, son instinct de négation, il les montre aussi dans sa Danse des Morts. Œuvre de jeunesse, elle n’en est que plus lugubre. Elle n’a point l’espèce de gaîté que le peuple du Moyen Âge a mise dans les jeux macabres. Holbein ne rit guère. Il bouffonne en nihiliste. De ces dessins, le plus frappant est le dernier, où il imagine le blason de la Mort : il en donne une vision grimaçante : Nihil. La mort partout. Et très seule, et bien saoule. Quoique femme, et par dérogation aux règles de l’héraldique, la mort a des tenants : et c’est Adam et Ève, la femelle et le mâle. La tête de mort tient tout le champ de l’écu. Elle ricane : elle a des vers et des serpents entre les dents. L’écu est timbré du casque, taré de front ; et certes le heaume a onze grilles. Un manteau impérial l’entoure ; les plis en descendent, comme deux serres de rapace pour étreindre la terre. Et, en guise de cimier, un morne sablier que les deux bras du squelette encadrent d’un losange décharné, se dresse : les mains réunies au plus haut brandissent une pierre énorme, qu’elles vont lâcher, pour l’écraser comme tous les autres, sur quiconque passe.

À quarante-six ans, Holbein est mort de la peste.