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voyage du condottière

ses héros, Holbein s’est abandonné à son modèle ; et il a osé peindre ce portrait de sa femme, qui est le trésor de Bâle.

Une harmonie somptueuse et sourde, les tons ardents de la douleur et du reproche, les flammes sous la cendre, le rouge éteint du velours, la couleur égale l’infaillible dessin. Que cette chair est triste, battue, trempée de pleurs ! Quelle désolation dans ces yeux rougis ! Quelle peine, quelle déception sans retour, et même que de crainte dans ces replis que les larmes ont soufflés, comme des brûlures, sous la peau encore jeune ! Et ses beaux enfants ne la consolent pas. Elle est vieille à trente ans ; et, en dépit de sa gorge toujours fraîche, comme un fruit qui vient seulement de mûrir, elle a les siècles que les plaintes jettent sur une femme, les querelles, l’air humilié et l’affliction hargneuse. Tel est ce portrait, image sans prix de l’infortune conjugale.

Sait-on jamais pourquoi une femme est malheureuse ? D’abord, sans doute, parce qu’elle est femme. Puis, s’il y a bien des raisons pour n’être pas heureuse, il n’en est qu’une au désespoir : elle n’est pas aimée, ou pense ne pas l’être. Celle dont la chair est contente, c’est son âme qui souffre ; et si l’âme est satisfaite, c’est la chair qui ne l’est pas. L’homme et la femme ne sont pas faits pour se comprendre, ni même pour vivre ensemble. Dans le fond, la nature ne leur demande que de s’unir un moment. Il ne s’agit pas d’eux, mais d’une tierce créature, qui est encore à venir et qui leur est inconnue.

Holbein allait et venait, dit-on, entre Bâle et Londres. Passant cinq ans en Angleterre, il a fort bien laissé sa femme veuve, en Suisse, pendant cinq ans. J’espère qu’il exigeait d’elle la fidélité, la patience, la mémoire et toute sorte de vertus. S’il n’y tenait pas, c’était plus de mépris et plus de tyrannie encore. Lui-même