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voyage du condottière

alors, ont tressailli d’espoir : un empire illimité est devant moi : voici la vie, et l’horizon du règne.

Rien de plus enivrant, sur ces bords de l’orgueil, que le désert et l’incertitude même du lieu.

Toi, tu l’as vu, nature, l’homme unique, qui pensait en agissant, qui agissait en pensant, toujours prêt à rompre ses amarres, dans un suprême détachement de ce qui l’attache le plus, l’homme de toutes les passions, de toutes les forces et de tous les oublis, l’artiste souverain de l’action. Et si l’Urgone ou l’Uso, qu’importe ?

Tel pas, qu’il a fait ce jour-là, retentit encore par toute la planète.

Je m’enivre de cette présence au soleil, de ce coup, de ce nom. Je respire plus fort à cette place sacrée. Hier, il était là : il n’a rien vu de plus que ce que je vois ; il a pensé clair comme le ciel que j’ai sur la tête ; il a pris son parti ; et il a donné l’ordre.

Il avait cinquante et un ans ; et c’est en lui la beauté que je ne sais à aucun autre. Quoi ? la soif de dominer ne le rongeait-elle pas depuis un quart de siècle ? Mais ce n’est pas assez dire : depuis cinquante ans, depuis cinquante siècles.

Et moi aussi, j’ai droit sur cette Italie, dans mon amour sévère. Je n’admirerai pas la laideur, ni ailleurs, ni en elle. Le soleil me tient par la nuque ; il me mord au cou, comme le lion d’Assyrie enfonce ses crocs dans la nuque du roi. Je n’ai pas mangé depuis trente heures. La lumière nourrit.

Que la vie est belle, sur les cailloux de ce torrent. Entre la voie Émilienne et la route de Rimini, c’est la borne de la grandeur ;