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voyage du condottière

clarté du couchant, les pins de Ravenne s’étalent, ces beaux poumons de feuilles sur une artère qui jaillit de la terre violette, et qui se courbe en crosse vers l’Occident.

Ce n’est point le soleil, ce n’est point l’ombre : comme à travers le vitrail de la solitude, le jour descend à travers le réseau des pins qui se touchent par la cime. Le sol est d’émeraude et de violettes, velouté d’aiguilles rousses et de profondes mousses. Entre les colonnes de la mystérieuse église règne une lumière sans pareille, plus calme que le matin sur la mer, et plus égale, plus égale que le sourire. Le canal, à perte de vue, reflète les nefs de la forêt, les genévriers, les buissons, une voile.

Toute la main des branches, en son duvet d’aiguilles innombrables, s’offre en miroir au firmament. Et quand l’heure du soir s’avance, le ciel est sur le dos de ces mains vertes ; et par-dessous, la paume voûtée retient le feu du soleil rouge.

Et ce n’est pas, non plus, la fureur du vent qui gronde dans la forêt mystique ; mais plutôt, la respiration lente et profonde de la brise, une haleine légère, pleine de douceur et de caresse, unie, égale et paisible comme la lumière même. Tel est le rythme des pins, la pulsation de leur cœur végétal et de leur plane rêverie, qu’elle laisse couler avec les plus purs rayons du soleil, la plus suave essence du son.

Au-dessus de ma tête, les pins résonnent comme le sol des violons, sous un archet qui trémole à l’infini, avec une force contenue et une égalité sans pareille. Dans le lointain, plus graves que violons, ce sont les orgues aériennes de la forêt, le bourdon des basses et des violoncelles. La calme pédale porte toute la mélodie des oiseaux, des couleurs et de l’heure sereine. Et si c’est l’archet du vent sur les cordes des pins, ou le chant