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voyage du condottière

sombre cristal. Et comme tous les pins s’inclinent vers l’Occident, où le vent marin les penche, toutes les eaux coulent vers l’Orient ; toutes les molles herbes, les nénuphars, les lentilles, les algues sveltes des nymphées s’étendent, se couchent dans le sillage de l’eau tranquille ; et le canal, les feuillages humides, les ruisseaux, toute la vie végétale et toutes les eaux cherchent l’Adriatique, la passionnée et soucieuse Adriatique, très amère au cœur italien. Et parce que le fils de Rome a droit sur la mer, que les Barbares lui refusent, les herbes et les eaux, le canal, les rivières, le courant, tout y va d’une pente insensible et mystérieuse, avec la lenteur d’un amour qui se réserve, mais qui arrachera, quelque jour, d’un bond, la victoire promise.

Ravenne s’efface enfin, dans la terre où elle est ensevelie. Solitude admirable, qui réveille tous mes accords avec la nature, et dans chacun toutes les notes de la vie. Cette forêt de pins est le sanctuaire de la méditation, l’église d’une beauté divine qui se connaît et se contemple. Rien n’est plus à Dante qu’elle, et c’est Dante qui l’emplit, chantre à l’autel, prêtre sombre et magnifique. Voici la forêt du Purgatoire, aux confins du Paradis : le Purgatoire, le plus beau des poèmes, parce que le purgatoire est le plus propre à l’homme ; il contient tout, la faute et la justification, la cause et les effets, le péché qui est la fin du plaisir, et l’ardeur au salut qui purifie le désir en cendres, lieu sûr où la vie et la mort se confrontent.

Un frémissement courait entre les branches. Le ciel sanglant rougeoyait dans les pins et sur le miroir bronzé des eaux. Une voile rouge glissait au loin, sans qu’on vît le bord ni la barque, telle une aile sans l’oiseau.

Au bout de la hampe écailleuse et purpurine, qu’inonde la