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voyage du condottière

fesseurs de le condamner comme malsain ; mais rien n’est malsain, que d’être professeur.

Que les forces de la dissolution sont patientes ! comme elles sont sûres, et qu’elles peuvent être belles aussi ! Dans la couleur, en ses accords brûlants, réside la volupté. La couleur est toujours un doux délire. L’harmonie des tons a sa chaleur spirituelle, et une ivresse que les fibres vulgaires ne sentent pas. Le dégoût sans borne de la couleur pour la ligne droite est un mystère ; et ce dégoût n’est pas froid. La froideur seule est haïssable. Plus d’une fête pompeuse de l’art, en tous les temps, est pauvre, si on la compare à la tristesse, à l’agonie ardentes de celle-ci. Mais c’est une ruineuse magnificence.

J’ai fini la journée, cherchant la mer, à travers la forêt.

La mer là-bas, la mer, toujours plus loin, toujours plus près. Enfin, c’est elle, l’Adriatique verte. Ô flot tragique.

Plus personne, ici. Pas même un berger malade. Nulle présence, si ce n’est celle de la vivante Italie ; et je sens sa blessure. Des voiles latines vont contre le vent. J’épouse la querelle de Rome contre les Barbares. Je revendique cette mer pour la grande Rome, avec elle et contre eux. Flot tragique, et surtout d’avoir laissé derrière soi la dernière capitale, morte, invisible et muette. Une frange d’écume ourle les vagues glauques. Un long nuage noir coupe le ciel par le travers, du Nord au Sud.

Je suis tenté par la négation. Un rire amer me prend, qui moque l’espoir de toute la terre. Un rire contre leur vaine antiquité, et même contre Rome. Où donc est-elle plus qu’ici enfoncée jusqu’aux cheveux ? En tous leurs triomphes, ils n’oublient que la