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voyage du condottière

corps sans os sont un réceptacle de voluptés. Un monde de bêtes bizarres accueille ce cortège de momies redressées sur leurs pieds : des biches hagardes, des oiseaux à long bec de squales, des chiens velus d’écailles, des paons griffus ; les rosaces clignent des yeux mornes ; les palmes sont crochues et tirent des dents en scie ; et les urnes aussi ont des ongles et des griffes. Cependant, une harmonie enveloppe toutes ces formes, ardente et lugubre, comme un parfum trop violent où la peau se macère dans le spasme, jusqu’à la mort.

Justinien et ses acolytes, si perfides qu’ils soient, si méchants qu’ils puissent être, si amers ou si dégoûtés, tous, ils sont les serfs de leurs femmes. Ils ne vivent que pour des voluptés qu’ils goûtent à peine, qui les lassent à mesure qu’ils rêvent en vain de les épuiser. Ils sont polis, sournois ; l’étiquette raffine en eux la cruauté. Et sous leur digne maintien, ils engraissent les larves de tous les stupres.

Théodora est bien la reine de ce monde frémissant et muet. Derrière elle et ses femmes étroitement drapées, j’entends les cris de la folie dans les chambres lointaines, les appels de l’hystérie au milieu des odeurs, les bonds dans la soie et le velours des orgies secrètes. Théodora taciturne gémit, menace et sanglote comme une possédée. Théodora, serrée dans sa robe, déchire ses vêtements et se roule toute nue sur les fourrures. Le linge le plus fin lui est une chappe de soufre ; et sa peau glacée est un supplice pour le feu qui la brûle au-dedans. Elle est haute, maigre, rongée. Elle n’a ni gorge, ni hanches. Dans sa figure longue, elle ouvre des yeux de chouette. Elle est nocturne, et marinée dans les charmes de la nuit. Elle est pleine de fureur voilée, et rêve d’un opprobre éclatant. Elle contemple un désir, qu’elle désespère de rencontrer ailleurs qu’en elle. Plus elle