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voyage du condottière

cou dans les pavés. En chaque figure, je vois un colon cauteleux, un fils gras de la louve. Une boucle de trois eaux chaudes rive Rimini à la terre, l’Ausa, la Marecchia et le front de mer. D’une morne rivière à l’autre, et d’un arc triomphal à un pont d’Auguste, la voie militaire est tendue, rigide et large. Le nom cruel d’Auguste prête à tout une espèce de sournoise dignité. Une fois de plus, le vent m’en jette le sable au visage. Sur ce pont, d’où pourtant les montagnes se découvrent, l’odeur de la Marecchia empeste. L’air aussi tient moins de la mer que du marécage. Il vente de plus en plus bas et chaud. Le soleil pend entre deux matelas de laine grise ; demi-mort, il souffle une haleine cuisante : quel Othello, quels prétoriens barbares, étouffent donc là-haut ce malade impérial ?

Puis, tournant le dos aux antiques, on cherche la trace de la douce Françoise, qui fut de Ravenne, et qui est morte ici. Heureuse de n’y plus être, mais ayant vécu dans ce tombeau, de dormir embaumée pour les siècles dans les vingt plus belles rimes de l’Italie. Ravissante victime, que Dante lui-même n’ose point damner, puisque femme, elle a cherché la mort d’amour, et de la sorte fut sauvée. Mais ses bourreaux sont partout, et le boiteux Gianciotto n’a pas été le plus meurtrier de sa maison. On ne peut faire un pas dans Rimini, sans marcher sur les Malatesta. C’est une race d’assassins. La méchanceté leur est aussi naturelle que le nez cassé et le menton fuyant. Pour l’amour de Françoise, je ne veux plus donner dans le travers d’admirer l’énergie où il n’y a que la violence. Il n’est de grands meurtres, que si les meurtriers sont grands. La grandeur de tuer est un peu moins rare en Italie qu’ailleurs ; mais cet art n’y compte pas que des chefs-d’œuvre.

Je ferai perdre aussi son lustre au meurtre. L’énergie que