Page:Andre Suares Voyage du Condottiere Vers Venise, 1910.djvu/187

Cette page a été validée par deux contributeurs.
179
voyage du condottière

Ils ont fait pour le mieux qu’on pût faire. Ils ont bâti contre la pesanteur. Leurs murs ne sont pas des écrans, mais des filets pour la lumière. Leurs façades sont des mailles à prendre les couleurs et les reflets du jour. Il en est de Venise comme d’une amoureuse en fête : la toilette d’une femme se justifie par la chair, par la grâce et le charme de celle qui la porte. La toilette est l’annonce et le voile du plaisir. L’architecture de Venise est le manteau de soie, la robe de volupté, le vêtement du bonheur que les Vénitiens ont eu d’y vivre. Ville tentatrice, sa loi est l’illusion. Or, l’illusion est l’amour toujours jeune que nous avons pour les choses, la jeunesse que la vie garde pour elle-même. Toute architecture, à Venise, est dans la lumière. C’est la lumière qui peint pour l’architecte, et lui choisit ses ordres.

Comme la dentelle est un tissu en elle-même, et non une broderie sur une trame de fond, l’architecture de Venise est un miroir ouvert au ciel et à la lumière. Ce ne sont point les espaces, ici, qui définissent les façades, mais les fenêtres. Les murailles sont à jours, comme la dentelle se tisse à points clairs. Le fond, non moins que le dessin, tout est dû au travail de la fantaisie qui orne. L’ornement ni le jour ne s’ajoutent point à la trame : ils la constituent. Et comme le dessin de la dentelle a des limites que la broderie ne connaît pas, l’architecture vénitienne est bornée en tous sens par l’espace et par le plan d’eau mouvante, où l’architecte pose ses assises et ses étages. Il n’est libre qu’à l’égard du ciel, qu’il invite à pénétrer la muraille. Et c’est dans la hauteur qu’il se donne carrière, jusqu’à la limite de la solidité.

La légèreté et la grâce sont les éléments de l’harmonie, à Venise. Beaucoup de petits palais ne plaisent que par le rythme