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voyage du condottière

brille au tabernacle, dans Saint-Marc d’Or. Et le nom même de Marc pèse tout poids d’or.

Saint-Marc est l’église sublime. Par la vertu de l’harmonie, elle atteint la perfection du style. La richesse inouïe de la matière n’est qu’un moyen sonore, qui sert docilement le génie musical. Comme la fugue de Bach, avec ses nefs conjuguées et ses coupoles, elle est une et multiple. La plénitude de Saint-Marc est divine.

Byzance y triomphe avec une ardeur splendide ; mais Byzance asservie aux rythmes de la couleur, toute la richesse antique se consomme dans Saint-Marc, depuis Crésus jusqu’aux oratoires des satrapes ; mais au lieu d’y être une charge charnelle, elle y est toute vive, en mystère et en esprit.

Saint-Marc est l’office de Balthazar, le mage d’Asie.

Un quadruple cœur d’or, quatre puits de rêve sous quatre coupoles.

L’église la plus intérieure qui soit au monde s’est creusée au flanc de la ville, où tout est décor changeant, sensation éphémère, mobile jeu des apparences.

Le contraste est sans égal entre la façade confuse et l’ordre du vaisseau intérieur. Cinq siècles ont épuisé le luxe et le faste sur le visage de Saint-Marc, pour ne réussir qu’à un chaos de dômes, de portiques, de bulbes affrontés. D’ailleurs, pas un beau chapiteau, pas un arc, pas une moulure qui vaille le regard. Dans la profusion sans choix, la façade n’arrive pas à s’accorder avec elle-même : elle étale la recherche somptueuse ; mais elle cache ses membres et trompe sur les proportions. Elle est claire, criarde et ne paraît pas faite pour durer. Ornée de mosaïques blanches et bleues, on dirait d’une église en plâtre