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BÂLE




T ête dure et ventre chaud, Bâle est une ville singulière, capitale de bourgeois. Elle est chimérique et grasse, religieuse et charnelle. Le plus souvent, elle a la mine maussade. Elle est venteuse : dans le couloir de la vallée, souffle le grand vent des montagnes, qui pousse en fer de lance un baiser aigre.

Sous la neige d’hiver, Bâle a la gaîté forte. Les fumées bleues, sur les maisons de bois, parlent de larges cuisines et de festins bourgeois, d’oies qui rôtissent, de poêles en faïence, de meubles bien cirés et d’horloges qui rougeoient contre les murs sombres. Là, on fait une chère dense et savoureuse, et l’on mange d’excellent poisson. S’il pleut, la pluie brille en reflets luisants sur les verrières et les culs de bouteille sertis dans le plomb. Et l’on pense à la chambre chaude, par les grands froids, derrière les vitres épaisses, quand le poêle ronfle, que le serpent de fonte rougit, et quand, au crépuscule qui tombe, une sourde lueur d’olive traîne languissamment sur les cuivres suspendus, et la tranche d’or des livres. Alors la ville bien nourrie semble posée