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voyage du condottière

l’âge. Il lui manque des dents. Un col épais et court. Sur le front gros et sans grandeur, chauve au-dessus des tempes, les cheveux sont tassés en mèches, et le crâne se montre à nu, par plaques. Les sourcils très relevés sont aussi un peu collés à la peau, avec cet air de poil malade qu’ils ont alors. Gras, tombant du bout et pincé vers les narines, le nez est sensuel, gourmand, sans bonté. La bouche, surtout, est équivoque, une bouche à axiomes et à blasphèmes. La lèvre supérieure est brève ; l’autre, plus épaisse, s’abaisse, comme le bord ourlé d’un pot. C’est le vieux dur à cuire, meneur de bandes. Il regarde droit devant soi, non sans voir des deux côtés. Il attend l’événement avec lenteur. Son air est de qui feint de s’étonner, pour mieux tourner le dos au parti qu’il ne veut pas prendre. Et dans son entêtement immuable, il ne s’étonne, au fond, de rien. Bien ou mal, il comprend ce qu’il doit faire, et le fait. Il en a tant vu, que ni la peur ne l’arrête, ni le scrupule. Il est las et fort comme un vieux roc, longtemps battu de la marée. Il n’a pas de pitié. Il n’a pas de cruauté. Il fait ses comptes, efface ou apure, et va droit à l’addition. Dans les cris et les flammes du carnage, au soir d’un sac, il boit double pinte de vin vieux. Il est implacable et doucereux. Et c’est la raison, peut-être, qui fit donner à Érasme de Narni ce nom de Gattamelata, qui signifie Chatte-au-miel.

Voilà le soldat que Donatello me fait connaître. Quoi de plus ? Donatello est si grand que je n’en veux rien dire davantage, sinon qu’avec Dante, il est l’artiste souverain de l’Italie.

adieu à la duègne

Le long du Bacchiglione, étroit comme un canal, des quais languissent à la lumière du soir. Les ponts bas, d’une seule