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voyage du condottière

tout est retenu avec les gestes ; le mystère intérieur est révélé par le mouvement ; tout enfin est incarné à la matière. Ou plutôt, il n’est plus de matière, tant l’énergie de la vie a de lumière et de naïveté. La sculpture, ici, est la reine de l’esprit qui ne se cache plus, qui se laisse approcher. Antique et chrétien, classique et toujours passionné, Donatello est le Rembrandt de l’art sensuel et sévère, qui enferme l’âme dans les corps, pour la mieux faire toucher. Ô vieux Donatello, le plus jeune des artistes jusque dans l’extrême vieillesse, quelle source intarissable de vie tu as captée dans les divins filets de la forme !

Sur une place, au flanc de la même basilique, Donatello a dressé le monument équestre du condottière Gattamelata, capitaine de Venise. Lourd comme un percheron, le cheval est bien padouan, une bête de trait. L’homme, qu’on voit mal d’en bas, frappe pourtant l’esprit par sa force calme et sa simplicité. Mais la tête vaut la peine qu’on la regarde de plus près. On débarbouillait le bronze, ce jour-là. Au grand soleil, dans ce lieu désert, je me hissai sur l’échafaud. Et je connus, face à face, le poème magnifique de ce visage. Donatello est le dieu du caractère : telle est, pour lui, la raison de ma passion.

De Gattamelata, il a fait le vieux général romain sans génie, comme il a vécu dans tous les siècles, Vespasian ou le Cunctator, Crassus ou Sforza. Et d’abord, il a voulu qu’il fût de race paysanne : un vieux laboureur à cheval, dans l’âge de soixante ans, où l’homme d’ambition n’a plus d’entrailles. Une grosse tête carrée, aux os épais, aux oreilles vulgaires, sans doute velues de chiendent : ni l’intelligence, ni la fierté ne règnent sur cette figure, mais une invincible obstination. Les joues tombent sur les maxillaires ; les chairs d’un homme qui boit : elles font de gros plis sous le menton que godronnent encore les rides de