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voyage du condottière

Il paraît étranger partout, et ne l’est pas, pourtant. Il a dû s’y faire, à sa vive souffrance. Autour de lui, il crée la solitude. Il ne s’épargne pas lui-même : parfois, Caërdal isole Caërdal.

Combien de fois ne l’a-t-il pas remarqué, pour sa plus grande peine ? Partout où il est, il fait contre lui, et lui seul, l’union des volontés les plus diverses et des pensées contraires.

Et de même, quand il sort, le soir, on s’écarte de lui. On le craint, sans le connaître. Dans la rue, on a l’air de le redouter. Et les gens, pour se rassurer, se liguant aussitôt, cherchent en lui le ridicule où s’attacher, avec bassesse : car l’animal à deux pieds, qui porte le front en haut, veut rire d’abord de celui qui le trouble.

On l’a cru anarchiste ; et il est la hiérarchie faite homme. Mais il est vrai qu’il ne se place pas au pied de l’échelle. Et s’il est toute hiérarchie, c’est qu’il est près de la nature.

Avec un amour de la création, que rien n’égale, il passe pour avide de détruire : c’est qu’il pénètre. Il peut aimer même ce qu’il n’estime pas. Tel est le prix de la variété du monde, à ses yeux, qu’il voudrait sauver jusqu’à ce qu’il déteste. Il a l’horreur de toutes les idoles, et la passion de tous les dieux. Ainsi il a paru dur et sévère, quand il était le plus absent de soi.

Nourri des Grecs et des Anciens, de la Bible et des chants populaires, je ne dirai point quels étaient ses dieux. On les verra bien.

Avant tout, il a été musicien : la musique est la femme dans le poète, la nature en amour. Pour Caërdal, la mort c’est la fin du chant. Il n’a jamais été un instant qu’un chant ne retentît dans son âme. La musique est aussi l’action du rêve.

Il n’est jamais entré dans une cathédrale, sans prendre part à