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voyage du condottière

une botte de paille. Le rentier Gorgibus et le tuteur Pantalon, son voisin, ont vu le jour dans Bergame. Ils ont de bonnes joues et un échiquier de grosse étoffe sur le dos ; et on les fait toujours mat au bas des reins. Ils se couchent sur leur sac, si on veut leur prendre un écu, en même temps qu’on leur ravit leur femme ; et tout du long étendus sur les dalles, ils tendent à l’ennemi une ronde figure, qui appelle la lunette à Purgon plutôt que les coups.

Je laisse donc mon casque, mon cheval et mes armes dans la vallée. Comme le jeune Harry, je vais voir à rire dans une auberge, et à me donner le jeu de la farce, persuadant à mon ombre d’enfourcher une batte. Ainsi soit-il. Entrons.

C’est un heureux pays, dans l’abondance et l’éclat de la fertilité. Ceinte de remparts bruns, Bergame se dresse dans le soleil jaune, et la ville neuve, à ses pieds, est lâchement éparse sur la plaine. Entre deux vallées, les torrents de poussière lèvent au vent du sud. Le ronflement des machines retentit longuement sur la terre sonore. On prend pied dans la ville basse. Fort roide et longue, la montée à la ville haute, sous de larges châtaigniers qui, eux aussi, s’appellent Victor-Emmanuel. Toujours monter ? Jamais assez. Qu’on est bien là-haut, dans la vieille haute ville ! Qu’on est mal en bas ! La ville neuve est toujours la basse. La nature commande ; et le caractère suit.

Des murs, on découvre la plaine et les monts. La lumière est laide, ce soir, un flot de groseille sur des linges bleus ; et la poussière jaune va et vient dans le vent. Au cœur de la vieille ville, je marche sur l’herbe ; et devant un portail pluvieux, je rencontre deux lions ridés et chenus, qui, à minuit, broutent le foin de la place. J’irai souper avec eux, cette nuit, si je suis