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voyage du condottière

il y a presque aussi loin que du Guelfe chrétien au Romain de la République. L’Italie de Dante n’est plus. Les pierres en parlent seules, avec beauté ; mais on commence d’y porter le pic et la bêche. Et l’or barbare souille les murailles sacrées. Il en est de l’Italie légendaire comme des palais toscans : chargés de six ou sept cents ans, ils demeurent ; mais où sont les architectes qui les conçurent, et les maçons qui les bâtirent ? où, les princes, sobres et forts, dignes d’y vivre ? La présence des Barbares achève de les dégrader : sous le ciel classique, leur morale est la pire insolence, le plus noir outrage à ces grands corps héroïques. Dès la Renaissance, quel abîme entre Dante et le Tasse, entre St-François et Philippe de Néri. Ni les tyrans, ni les peuples verts du moyen âge, tantôt sublimes et tantôt exécrables, ni les saints témoins de Dieu, ni la foule mystique ne seront ressuscités.

L’étonnant mystère de Stendhal, c’est que, voyant tout en passion, il écrit toujours en prose. Avec l’amour de la musique, il ne lui a manqué que d’être musicien, pour s’égaler aux sommets de la poésie.

On prétend se défaire de lui, disant : point de cœur, point de bonté. La bonté n’est point en cause ; il n’a pas voulu en montrer : il semble n’en pas avoir besoin. Il est le peintre des hommes et des femmes, dans la jeunesse de l’amour et des actions héroïques. Entre les amants, la bonté ne parle que si la passion est muette. Rien ne fait défaut à Stendhal que le génie lyrique. Cependant, il s’efface de ses héros ; il ne leur prête pas tous ses goûts ; il se donne les leurs. Il est capable d’aimer en eux ce qu’il déteste pour son compte. Cet homme de la Révolution, qui n’a pas eu de haine plus durable que celle de la religion et des prêtres, sait