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voyage du condottière

mains des royalistes : elles sont neuves entre les siennes. Il n’est pas un écrivain qui ne soit emphatique près de Stendhal.

On dit parfois qu’il n’a point de style, le prenant au mot quand il se donne pour maîtres les juristes du Code civil. Mais d’abord, la langue du droit est belle, quand elle est pure, et Portalis en a le sens. Puis Stendhal n’aime pas faire ses confidences d’auteur, étant si au-dessus du métier. Stendhal, c’est le dessin le plus aigu presque sans ombre et sans couleur. Son style est d’acier, de la pointe la plus acérée et la plus fine. Ni images, ni périodes. Ni la lyre, ni l’éloquence. Il est nu comme la ligne. Il me rappelle Lysias et l’orateur attique, si les Athéniens, au lieu de plaider, faisaient l’analyse de l’homme. Pour tout dire, il est Grec. Chaque phrase de Stendhal est pleine de sens, et d’un feu clair, qui fait de la lumière, sans chaleur. Toutes ces phrases ensemble tombent comme des étincelles : ceux qui ne sont pas sensibles à ce feu d’intelligence, diront qu’elles tombent comme la pluie.

L’excès d’esprit a perdu Stendhal. Il empêche de voir sa passion. De deux vertus que l’on a, quand elles passent de beaucoup l’ordre commun, l’une sert de masque à l’autre. Le monde vous en veut autant du visage que vous lui montrez, que du visage caché qu’il devine.

On l’a cru affecté, par ce qu’il ne se laissait pas surprendre : et méchant, par ce qu’il se défendait. Il brave la vieillesse et la pauvreté. Rien ne le diminue, de son propre gré. Il tient bon contre tout ce qui l’humilie. Il connaît sa valeur, et ne la connaît pas toute. Le silence, le peu de cas qu’on fait de lui, il n’en est pas abaissé, ni vaincu. Son génie résiste même à la louange médiocre.