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voyage du condottière

rouges, où ils tordent les câbles de leurs muscles. Une salle encore est toute faite de miroirs, et l’on ne peut y rester sans horreur et sans honte, pour peu qu’on ait le sens du mystère fatal qui dort sous l’eau réfléchissante des glaces. Les nus que ce peintre infâme prodigue font dégoût à la luxure même : ce ne sont que des ivrognes au teint de betterave, des corps rougis par l’herpès, par l’exanthème et toutes les maladies de la peau : le poète qui inspire ce Pipi est Fracastor, et ne saurait être que lui.

D’ailleurs, les pierres ont aussi la maladie. Les fresques sont rongées par la teigne. La pelade n’a rien laissé de Mantegna, au château des Gonzague. Les restes de couleur sur les plafonds sont les affections secrètes du plâtre et de la brique. La lèpre rongeante a mutilé les statues : l’une a perdu son bras, l’autre ses mains ; celle-ci a le genou érodé ; la voisine souffre d’un ulcère au sein ; à celle-là tombe un doigt, ou un os, ou le nez.

Quelques longues voies bien pavées, où l’on glisse, trompent sur le tas des rues désertes, sales, étroites, qu’elles doivent cacher. Une tripaille de ruelles torses remplit le ventre de Mantoue. Et les entrailles, farcies de vermine, crèvent au milieu de la cité morte, entre le Rio et l’église Saint-André, sur deux places que parcourt une rue recourbée comme une crosse : elle pousse les chenilles de ses arcades jusqu’à la cathédrale ; et ce double forum résonne de paroles. Tout le mouvement de la ville tient dans cet espace. Au delà, le vide et la torpeur. Dans les maisons humides et délabrées, on soupçonne des débauches tristes ; et derrière les murs décrépits, qui s’inclinent, des stupres sans joie, des opprobres amers et compliqués.

Mantoue est tortueuse et morne. De la Darse au Château, que ce quartier est vieux, vieux ! Mais il n’est que vieux, et rien ne