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voyage du condottière

le droit des autres, s’ils ne s’étaient pas mêlés hargneusement de jeter leurs limites à la traverse de son droit, à lui. Il ne séparait pas la pensée de l’action. On agit comme on peut, et selon les armes que le siècle nous prête. Pour ce Breton, un livre n’a jamais été qu’une tragédie qu’il a dû vivre. Et toute la nature est entrée dans sa mélancolie. Or, quel acte, en sa jeunesse, ou quel drame de sa saison plus mûre, lui parut jamais digne d’un regard, qui ne l’était pas d’être élevé à la beauté d’une œuvre ? C’est la raison qui le rend si sévère aux livres et aux hommes, et pourquoi il aime si fortement ceux qu’il a choisis. Il n’a rien aimé moins que lui. Il n’a vécu que pour l’action : c’est vivre pour la poésie. Caërdal a coutume de dire que l’art poétique est la loi de tout homme vraiment né pour ne pas mourir : c’est l’art de créer, et de se faire objet à soi-même, dans le bel ordre des puissances. La nature est création, et maîtresse éternelle d’œuvre. Tel il était, ce Caërdal, tel il sera : dévoré par le besoin du règne, qui est le libre jeu de l’ardeur créatrice. Artiste enfin, dans un temps où personne ne l’est, et puisqu’il n’est plus d’autre moyen de dominer sur le chaos, où s’avilit l’action.

Avec une soif immortelle de l’objet, là est la véritable aspiration au calme. La force qui a trouvé le lieu de son désir, se possède enfin elle-même. Et dût-elle s’y consumer, son feu brûle dans la sérénité. Il est lumière, ce feu qui cherche le lieu pur. Caërdal disait que la plus haute passion réside dans le calme. Qu’il est ardu, le chemin qui mène à ce sommet ! Peu y touchent. Mais c’est la vie d’un héros, que d’y conduire ses pas et ses chutes, et de ne jamais renoncer à y atteindre. Sur la route en lacets aux flancs de la vertigineuse montagne, quel profond regard descend sur le désordre des circonstances, sur les précipices de la laideur et l’avalanche des événements !