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voyage du condottière

masures, gaies et sordides, peintes en jaune cru. Des fenêtres largement ouvertes où, au bout d’un bâton, des haillons rouges sèchent au soleil, comme de grands coquelicots qui perdent leurs pétales. Un buisson d’épines rouges fleurit jusque sur le toit d’un hangar qui croule. Partout des fleurs qui clignent puérilement, tout contre terre, leurs petits yeux d’or. Superbe et droit sur une poutre comme sur un clocher, le coq regarde de haut les poules picorant dans les cendres. Derrière la volaille, au fond de la basse-cour, un terme barbouillé de poussière et de pluie, branlant dans sa gaine, rit toujours enivré, ou Priape ou Silène. Et voici enfin, au coin d’une place, à l’angle d’une ruelle en pente, une maison rouge que précèdent deux belles colonnes de marbre roux.

La treille est suspendue en portique, devant l’entrée. La vigne étend ses cent bras aux veines brunes, tel un monstre tutélaire, la pieuvre pacifique de la terre au printemps. Elle pétille de bourgeons ; le soleil joue aux billes avec ces têtes jaunes. Dans le mur d’angle, une petite niche en pleine lumière, où la Madone sourit, l’Enfant sur la main : un bouquet de fleurs courtes est placé contre ses pieds, avec une petite lampe à huile, dans un vase de cuivre. Le bambin bleu touche du doigt le sein de sa mère ; et la Vierge en robe rose porte une couronne d’or sur l’oreille.

Les feuilles poussent à vue d’œil entre les heureuses colonnes, cannelées de soleil. Une odeur de myrte et de citron passe dans l’air, en dépit du purin et des choux aigres. N’est-ce pas les bourgeons que l’on entend s’ouvrir, et qui crépitent ? Certes, ces tendres feuilles ne faisaient pas l’étoile, tout à l’heure, sur la colonne, quand je passai pour la première fois. La ruine, si c’en est une, donne à ces pauvres maisons une dignité de temple et une sorte